Béatrice Giblin (dir.), préface d’Yves Lacoste, Nouvelle Géopolitique des régions françaises, Fayard, Paris, 2005, 976 pages.

 Jean-Sylvestre Mongrenier, préface d’Yves Lacoste et de Stef Goris (président de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale), Dictionnaire géopolitique de la défense européenne, Éditions UNICOMM, 2005, 344 pages.

Nouvelle Géopolitique des régions françaises

par Jacques Bonnet (directeur de l’UMR Environnement-Ville- Société, université Jean-Moulin-Lyon-3).

Une nouvelle école de géographie plaçant au cœur de la réflexion sur les territoires la compréhension des rivalités de pouvoirs était fondée dans les années 1980 par Yves Lacoste, autour de l’université de Paris-VIII. « Agir sur un territoire pour le conquérir, le contrôler, l’exploiter nécessite la mise en œuvre de stratégies efficaces. » L’entrée par les acteurs politiques était un champ encore mal investi par la discipline. La méthode s’appliquait d’abord à l’étude des tensions internationales. Hérodote, revue fondée dès 1976, est aujourd’hui la plus importante revue de géographie éditée en France, à la fois par son tirage et son influence internationale. En 1986, la publication en trois tomes des Géopolitiques des régions françaises diffusait une analyse géographique des évolutions politiques internes, après la victoire de la gauche aux élections présidentielles de 1981 et quand se mettait en place une nouvelle collectivité territoriale, la région.

Béatrice Giblin livre ici une somme unitaire de près d’un millier de pages qui consolide la méthode et unifie le regard sur la géopolitique des régions françaises. On se souvient de sa thèse, éditée en 1990, sur « La région, territoire politique, le Nord-Pas-de-Calais », qui donnait les bases d’une nouvelle problématique, ici appliquée à toute la France, départements d’outre-mer compris. L’introduction de l’ouvrage dresse en 48 pages un tableau politique de la France qui est aussi une synthèse parfaite du cadre épistémologique proposé. L’auteur applique la méthode au Nord-Pas-de-Calais. Elle a rédigé également les chapitres sur la Bourgogne et le Limousin. Son équipe de chercheurs, essentiellement formée par l’université Paris-VIII-Saint-Denis, au sein de l’École doctorale et de l’Institut français de géopolitique qu’elle dirige, se partage les 22 autres parties. Un ensemble très complet de cartes donne à l’échelle des cantons pour la France et ses régions une géographie électorale particulièrement précise depuis 1995.

Le livre, qui est d’actualité, met en évidence l’évolution géopolitique des vingt dernières années. On retiendra l’affirmation encore fragile du fait politique régional en France. « Les lois de décentralisation n’ont pas affaibli les pouvoirs des communes et des départements, bien au contraire. » Et l’organisation décentralisée de la République confirme l’« excellente santé des conseils généraux ». Les « réseaux discrets » de contrôle des syndicats techniques de l’eau et de l’électricité composent une autre source de pouvoir très efficace sur les territoires. L’absence de contrôle hiérarchique entre régions, départements et communes entraîne des chevauchements de compétences qui ne contribuent pas à clarifier l’image du pouvoir régional dans l’opinion publique qui n’a d’ailleurs pas montré un intérêt majeur pour les régions.

Il est vrai que le régionalisme a pris en France des orientations idéologiques particulièrement contrastées pouvant donner finalement à sa représentation une image floue : extrême droite à l’origine des « nationalismes régionaux » pour dénoncer la République jacobine - on en connaît les dérives préférant Berlin à Paris -, extrême gauche aussi avec La Révolution régionaliste, ouvrage publié en 1967 par l’Occitan Robert Laffont. Le Larzac se révèle entre 1971 et 1983 comme un haut lieu de la contestation citoyenne face au pouvoir de l’armée. La région « apparaît comme le territoire à partir duquel le peuple pourra se libérer du capitalisme et de l’État dominateur ». Mais il existe aussi un régionalisme social-démocrate, développé en 1965 autour du nouveau maire de Grenoble, Hubert Dubedout, ou en Bretagne, auprès des militants syndicalistes chrétiens de la CFDT et de la Jeunesse agricole chrétienne. Celui-ci a triomphé aux dernières élections régionales. L’UDF et les positions centristes ont enfin soutenu une image girondine ou libérale de la régionalisation. Les intérêts socio-économiques du patronat ont des expressions territoriales variables : entre bassins d’emplois des zones métropolitaines et circuits commerciaux internationaux, la place du cadre régional s’avère sans doute secondaire. Libéraux et sociodémocrates se montrent favorables à la fois à la décentralisation et à l’Europe. Une étude géographique des résultats du dernier référendum sur la constitution européenne permettrait de compléter ce tableau.

Derrière les questions européennes et régionales, se développe une réflexion sur le rôle de l’État. Là encore les courants politiques ont varié, en particulier à gauche. « Pour les partisans de la république jacobine, l’État souverain est le garant de l’égalité des citoyens. » Mais « c’est en partie avec la promesse de réaliser la régionalisation que François Mitterrand gagne l’élection présidentielle en 1981. » « L’État retrouve aux yeux de certains son rôle protecteur, en particulier contre la jungle économique libérale. »

Cette complexité et cette variabilité des positionnements donnent tout leur intérêt aux études détaillées, région par région, qui composent l’essentiel de l’ouvrage. Les régions sont des territoires politiques, représentant de réels enjeux de pouvoirs pour le contrôle desquels s’affrontent tous les acteurs, élus, représentants de l’État, chefs d’entreprise... Les rivalités personnelles ou locales, souvent très anciennes, semblent avoir plus de poids finalement que les oppositions idéologiques. Elles expliquent bien des lenteurs dans les travaux d’aménagement. Et les victoires électorales ou la bonne gestion des territoires tiennent souvent à l’art de les dépasser. L’affaiblissement du rôle de l’État retarde la mise en œuvre de bien des équipements structurants le territoire national ou régional. La méthode de l’ouvrage consiste précisément à détailler les très grands projets d’aménagement des régions et à montrer leurs enjeux géopolitiques : État contre collectivités, divisions locales, impossibles coopérations, multiples rivalités de pouvoirs. La géographie électorale n’est qu’un outil parmi d’autres pour comprendre ce jeu de forces internes et externes qui s’exercent sur l’organisation spatiale des régions françaises.

Le champ est brouillé par des courants transversaux qui prennent des expressions localisées parfois spécifiques. On en retiendra deux formes. La montée de l’extrême droite compose un premier brouillage de la réalité et de ses représentations. Le Front national est devenu l’expression politique majoritaire dans les communes populaires. Autre source de confusion des expressions, le doublement en vingt ans du nombre des musulmans en France, de 3 à 6 millions, l’extrême concentration de leur localisation géographique, l’influence menaçante de l’islamisme.

L’ouvrage est une somme, c’est-à-dire une mine, pour les chercheurs et les enseignants. Pour les chercheurs, parce que l’expression « analyse des acteurs » prend ici tout son sens. Celle-ci se résumait trop souvent dans les sciences humaines en une analyse des seules politiques publiques. Ici, tous les acteurs, politiques, administratifs, économiques, sociaux, sont pris en compte dans une géographie globale. Pour les enseignants, la géographie régionale de la France trouve une nouvelle dimension qui passionnera leurs étudiants.

(Toutes les citations sont de Béatrice Giblin.)

 Béatrice Giblin (dir.), préface d’Yves Lacoste, Nouvelle Géopolitique des régions françaises, Fayard, Paris, 2005, 976 pages.


Dictionnaire géopolitique de la défense européenne

Ce dictionnaire n’est pas seulement utile pour s’y reconnaître dans les multiples organismes qui ont à voir avec les problèmes de défense aux divers plans nationaux, dans le cadre européen et dans leur rapport avec l’OTAN. Le livre de J.-S. Mongrenier donne aussi de très intéressantes informations sur les caractéristiques des différentes armées nationales (notamment quant à l’héritage de leurs traditions historiques) et il comprend de précieuses synthèses sur les relations entre un certain nombre de grands États. À noter que ces articles se présentent sous des titres trop discrets qui ne laissent pas présumer de la richesse de leur contenu. Ainsi les articles « Berlin-Washington », « Londres-Berlin », « Paris-Londres », « Paris-Washington » traitent des relations, notamment en matière de défense entre l’Allemagne et les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ou les États-Unis. L’article laconiquement intitulé « Le modèle anglais » traite de l’évolution de l’armée britannique.

Évidemment les structures de l’OTAN sont décrites avec précision. On trouve aussi dans ce dictionnaire des articles qui traitent de termes ou de concepts éminemment géopolitiques : empire, islamisme, Méditerranée, Mitteleuropa, puissance, etc. Les différents traités européens (Maastricht, Nice) sont analysés avec précision, pour ce qui est des projets de politique extérieure et de défense communes. J.-S. Mongrenier notait déjà avant le rejet par la France et les Pays-Bas du traité constitutionnel européen que celui-ci ne comporte pas de clause de sécurité commune entre les vingt-cinq États de l’Union européenne. Ceux-ci cherchent à promouvoir une « politique étrangère et de sécurité commune »(PESC) mais ils dépendent toujours de l’OTAN. Un livre utile et intéressant.

 Jean-Sylvestre Mongrenier, préface d’Yves Lacoste et de Stef Goris (président de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale), Dictionnaire géopolitique de la défense européenne, Éditions UNICOMM, 2005, 344 pages.


L’institut Français de Géopolitique offre des formations de master intenses, exigeantes et passionnantes !

Hérodote est historiquement liée à la formation en géopolitique (master et doctorat) de l’Université Paris 8 — Vincennes - Saint-Denis, l’Institut Français de Géopolitique (IFG) où ont enseigné son fondateur Yves Lacoste, sa directrice Béatrice Giblin (également fondatrice de l’IFG), et une partie importante de l’équipe de la revue.

La première année est consacrée à la formation à et par la recherche, qui est au cœur du projet intellectuel et citoyen de l’École France de Géopolitique. Les étudiants et les étudiantes doivent écrire un mémoire de recherche d’une centaine de page appuyé sur une enquête de terrain d’un mois en autonomie. Un accompagnement fort leur est proposé pour favoriser leur réussite durant cette année si différente de leurs expériences précédentes.

En seconde année, quatre spécialisations professionnalisantes sont possibles : géopolitique locale et gouvernance territoriale, géopolitique du cyberespace, nouveaux territoires de la compétition stratégique, analyse des risques géopolitiques et environnementaux. Toutes ces spécialisations sont ouvertes à l’alternance, et la majorité des étudiants et des étudiantes a désormais un contrat d’apprentissage. Celles et ceux qui souhaitent faire une seconde année de recherche le peuvent, notamment en préparation d’un projet de doctorat.

Avec 85 places en première année, le master de l’IFG offre aussi une véritable vie collective de promo, animée notamment par une association étudiante dynamique. Les étudiantes et étudiants viennent de nombreuses formations et disciplines, notamment : géographie, d’histoire, de droit, de sociologie, de science-politique, Économie et gestion, langues (LLCE/LEA) ou de classes préparatoires.

Les candidatures en première année de master se font exclusivement via la plateforme nationale monmaster.gouv.fr du 26 février au 24 mars 2024. Toutes les informations utiles se trouvent sur le site www.geopolitique.net. En deuxième année, les candidatures doivent passer par le site de l’Université. L’IFG n’offre pas de formation au niveau licence.

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