Bénéfique pour les uns, nocif pour les autres, au point même d’être qualifié de néocolonialisme, le tourisme est l’objet dereprésentations opposées. Si les discours scandalisés contre le néocolonialisme servent à éviter d’aborder les problèmes que pose le comportement politique des responsables nationaux, il y a, parmi les conséquences géopolitiques de l’accroissement du tourisme, les attentats terroristes et l’implantationdes mafias dans certaines régions touristiques. En outre, le rôle du tourisme commemoyen de faire aimer la nation, avec la mise en scène des lieux historiques et celle de certains paysages, est efficace. Enfin, dans certaines régions, le tourisme contribue à alimenter la représentation d’une identité régionale intangible qui devient un véritable produit touristique.

Abstract : Tourism : a geopolitical theatre ?

Tourism, beneficial for some, harmful for others, to the point of being described as neo-colonialism, tourism is the object of opposite representations. If the scandalized speeches against neo-colonialism are used to avoid tackling problems arising from the national political representatives’behaviour, there are still, among the geopolitical consequences of a rising tourism, terrorist’s attacks and the implantation of the Mafia incertain touristic regions. Nevertheless, therole of tourism as a mean to promote a nation, with the staging of historical sites and landscapes, is quite efficient. Finally, in certain regions, tourism contributes to feed the representation of an intangible regional identity which becomes a real touristic product.

Article complet

Par son ampleur (842 millions de touristes en 2006 dans le monde) et la diversité des secteurs qu’il touche, le tourisme intéresse logiquement un très grand nombre de chercheurs. Économistes, anthropologues, sociologues, médecins, urbanistes, géographes, etc., tous avec leurs approches scientifiques respectives étudient le tourisme. C’est donc avec notre démarche - la géopolitique - qu’Hérodote aborde cette question.

Au vu des nombreuses publications qui portent ce titre, le sujet semble être déjà traité. Mais si la géopolitique est présente dans les titres, cela ne signifie pas que l’approche des auteurs soit véritablement géopolitique, tout au moins au sens où l’entend l’équipe d’Hérodote : l’étude des rivalités de pouvoir ou d’influence sur des territoires et donc sur les populations qui s’y trouvent, en tenant compte des représentations contradictoires que se font les acteurs de la situation étudiée.

Si le tourisme est un phénomène mondial, il n’en reste pas moins que cette activité concerne des lieux (des territoires) précis aux caractéristiques particulières et qui peuvent faire l’objet de projets de développement contradictoires, les intérêts des uns ne rencontrant pas forcément les intérêts des autres. En outre, nous sommes de plus en plus nombreux à être touristes à un moment ou à un autre pour un temps généralement limité, quelques jours ou semaines, et nous sommes donc nombreux à avoir quelque expérience dans ce domaine. Chacun a une façon de voyager et d’être touriste, chacun a donc une représentation de la mise en valeur touristique des lieux qu’il découvre en fonction de son âge, de son niveau social, de son milieu culturel et économique. À cela s’ajoutent les représentations des spécialistes du tourisme - nous y reviendrons.

Rappelons aussi qu’Hérodote est une revue de géographie et de géopolitique. Or la géographie est un savoir indispensable à l’analyse du tourisme. Prenons seulement les paysages. Ceux-ci ont été et restent l’une des motivations, l’un des ressorts essentiels du voyage, et ce sont les géographes qui sont les mieux à même d’en parler, de les expliquer pour accroître le plaisir du seul regard. Un des premiers numéros de la revue s’intitulait « À quoi sert le paysage ? » (Hérodote, n° 7, 1977). Avec ce thème, Hérodote est ainsi au coeur de sa démarche en associant le savoir-faire des géographes et son approche géopolitique.

Enfin, si le tourisme est un phénomène mondial, c’est néanmoins un secteur qui touche d’abord et surtout les pays développés - même si le tourisme est aussi en expansion dans les pays en développement - et rappelons que les touristes voyagent très majoritairement dans leur propre pays. Ainsi, en France, parmi les 80 % de Français qui voyagent, 11% seulement vont à l’étranger et parmi eux la grande majorité va en Espagne et en Italie.

De l’effet géopolitique de certaines représentations

Revenons sur l’importance des représentations dans la perception des effets du tourisme sur un territoire. Il existe deux représentations totalement opposées du tourisme. Certains voient dans le tourisme un moyen efficace de développement, et ce quels que soient les lieux concernés, dont les effets bénéfiques l’emportent largement sur les aspects négatifs. C’est alors l’énumération des chiffres : 800 millions de touristes, le premier secteur d’activité économique, les centaines de milliers d’emplois... D’autres en revanche insistent surtout sur les effets qu’ils jugent négatifs de cette activité : un développement qui ne se fait qu’au profit de quelques-uns au détriment de la majorité de la population dont le mode de vie et le milieu de vie peuvent se trouver déstabilisés par cette intrusion brutale que représentent les touristes. On dénonce alors l’acculturation et l’asservissement dont les populations locales sont jugées victimes et l’augmentation des prix que les achats des touristes entraînent inéluctablement. Ces deux représentations sont surtout très présentes dans l’analyse des effets du tourisme sur les pays du Sud, mais pas uniquement. Par exemple, on les retrouve à propos de la Corse, certains étant partisans de jouer la carte du tourisme pour développer l’île, d’autres s’y opposant farouchement au nom de la préservation de l’identité corse. Le cas de la Corse est d’ailleurs un excellent exemple de ce que peut apporter la démarche géopolitique à la compréhension du tourisme, comme le montre l’article de Joseph Martinetti.

Néanmoins cette représentation très négative a principalement cours dans les milieux intellectuels de gauche, qui dénoncent les méfaits de la mondialisation capitaliste dans les « sociétés du Sud », puisque responsable de la destruction de l’authenticité des modes de vie ou, pire, contraignant des populations à singer un mode de vie primitif (archaïque ?), à se déguiser en gentils sauvages ou nomades pour faire plaisir aux touristes infantilisés descendus du xième autocar de la journée. Ou inversement on dénonce l’interdiction de mettre en valeur tel territoire afin de préserver tel milieu naturel pour protéger flore et faune que viennent admirer et photographier des touristes. Dans l’un et l’autre cas, cela revient au même, c’est-àdire que l’on dénonce l’intérêt du profit qui passe avant le respect des populations locales, et aussi des touristes puisque ceux-ci sont leurrés avec une pseudoauthenticité.

Sans aucun doute ce phénomène de masse a des effets négatifs, comme tout processus d’ailleurs. Cependant, cette critique laisse paraître un certain regret pour le temps où seuls ceux qui savaient bien voyager se rendaient dans ces contrées lointaines, c’est-à-dire les gens aisés et cultivés ou encore des chercheurs qui travaillaient sur le terrain et qui faisaient à l’occasion un peu de tourisme. Mais, désormais, la Chine, le Mexique et l’Indonésie se trouvent dans les hypermarchés d’Auchan, de Carrefour et de Leclerc, où se sont vendus un million de voyages en 2006. L’élitisme des voyages lointains appartient au passé. En outre, la question de l’authenticité n’est pas si simple : qui décide de ce qui est authentique et sur quels critères ? Et la question de la préservation de l’authenticité pose nécessairement celle de l’identité, mais l’identité n’est pas non plus un état statique, intangible. En revanche, l’arrivée massive de touristes conduit à changer parfois brutalement les façons d’être et de faire des populations locales, mais le regard critique qui est porté sur cette évolution l’est par ceux et celles qui regrettent la disparition d’un état antérieur qu’ils estimaient meilleur. Sait-on ce qu’en pensent les premiers concernés ?

Le tourisme est-il un néocolonialisme ?

Autre discours dénonciateur, celui du néocolonialisme que représenterait l’activité touristique en accaparant les plus beaux sites pour installer des équipements réservés à une clientèle riche qui n’aurait pas le moindre souci de « l’Autre », qui imposerait ses façons de vivre, ses comportements socio-culturels sans le moindre respect pour les valeurs et comportements des populations des pays où elle séjourne.

Quel que soit le bien-fondé de ces critiques, qualifier le tourisme de colonialisme est excessif. La colonisation fut un processus complexe, imposé, parfois à l’issue de conflits meurtriers, qui s’accompagnait de la domination et de l’exploitation des populations locales d’un bout à l’autre du territoire conquis. Il est politiquement dangereux et historiquement faux de qualifier de coloniales ou de néocoloniales des situations qui n’ont rien à voir avec ce que fut réellement la colonisation. Les touristes ne sont que de passage même si d’autres leur succèdent, et surtout ils ne sont pas en situation d’exercer le pouvoir (si ce n’est le pouvoir d’achat, ce dont profitent plus ou moins certains locaux) et viennent de façon très pacifique et le plus souvent avec les meilleures intentions du monde. En outre, ce sont les locaux qui vendent les terrains ou les bâtiments à des prix très avantageux pour le vendeur et l’acheteur. Ces discours dénonciateurs trouvent quelque écho dans les milieux intellectuels et du journalisme des pays du Sud, comme le montre l’article d’Anne-Claire Kurzac-Souali sur Marrakech, alors que la réalité des chiffres et la perception qu’en ont les habitants sont tout autres. Il faut dès lors se demander à qui et à quoi sert ce type d’accusation mensongère. Accuser les touristes et ceux qui achètent des propriétés au Maroc ou en Tunisie pour n’en retenir que le fait que ces deux pays pratiquent un néocolonialisme est un moyen de masquer le fait que ce sont bien des nationaux qui vendent leur propriété, résistant difficilement, et c’est compréhensible, aux sommes proposées. Ces discours scandalisés contre le néocolonialisme servent donc aussi à éviter d’aborder les vrais problèmes que pose le comportement politique des responsables nationaux.

Cette dénonciation du néocolonialisme est bien évidemment reprise par les islamistes intégristes, à qui l’on donne des arguments pour attaquer les turpitudes d’une société occidentale dépravée. Le sordide tourisme sexuel est un excellent argument pour dénoncer les touristes dans leur ensemble, en se faisant beaucoup plus discret sur d’autres formes de tourisme sexuel, comme la pratique du mariage temporaire, le « zawaj mutaa », dont le terme est fixé à l’avance. Cette pratique chiite a toujours été déclarée contraire à la loi par l’orthodoxie sunnite, elle a néanmoins « fait son apparition en Égypte notamment pour éviter la police des moeurs aux riches estivants du Golfe qui contractent, contre quelques dollars, ce type d’“engagement” pour quelques semaines, voire quelques heures, avec de jeunes filles dans le cadre d’une prostitution déguisée » (Confraveux et Romano, 2007).

Les conséquences (ou risques) géopolitiques du développement touristique

Tourisme et terrorisme

La dénonciation du tourisme occidental par les islamistes sert à la fois à discréditer la civilisation matérialiste de l’Occident et à critiquer les autorités locales qui tirent avantage et profit de cette activité au mépris du respect des vraies valeurs des musulmans. Ce qui conduit les plus radicaux d’entre eux à fomenter des actes terroristes dans certains hauts lieux touristiques comme au Maroc et en Égypte afin de marquer les esprits aussi bien des touristes que des populations locales, qu’il s’agisse des autorités, des organisateurs locaux ou de ceux souvent modestes qui assurent les services de base. Si le nombre de touristes tués dans les attentats reste minime par rapport aux dizaines de millions de touristes qui se rendent dans les pays musulmans chaque année, l’impact médiatique de ces attentats est incontestable et les conséquences économiques, en particulier pour tous ceux qui vivent de cette activité, sont parfois d’une extrême gravité, au moins pour un temps, et c’est bien le but recherché par les terroristes : déstabiliser la situation géopolitique interne. Néanmoins, après quelque temps, le flux touristique dans le pays visé repart à la hausse, comme si les touristes faisaient preuve d’un certain fatalisme (on peut aussi mourir dans un attentat à Londres, Madrid ou Paris) mais aussi parce que des mesures de sécurité sont mises en oeuvre dans les aéroports, sur les sites touristiques, dans les hôtels. Ainsi, d’une certaine façon les terroristes qui prennent les touristes pour cibles n’ont pas pleinement atteint leur but, qui était de fragiliser localement et durablement cette activité économique et en conséquence les régimes de gouvernement qu’ils exècrent. Cependant, les islamistes restent à l’affût de toutes les relations géopolitiquement interdites, comme celles que les milieux du tourisme pourraient avoir avec des Israéliens. Ainsi les accusations des islamistes à l’encontre du maire de Marrakech, Omar Jazouli, affirmant que ce dernier aurait signé un accord de coopération, le 22 février 2007 à Marseille, avec le maire de la ville israélienne de Haïfa, Yona Yahav. Le support de presse du Parti de la justice et du développement (PJD), Attajdid, a carrément lancé un appel implicite à l’Intifada.

Enfin, il ne suffit pas d’avoir refusé le développement du tourisme pour échapper aux attentats, comme l’illustre tristement le cas de l’Algérie qui a refusé le tourisme pendant des décennies et où, on le sait, l’activité touristique est encore très faible, comparée à celle de la Tunisie ou du Maroc. En effet, les gouvernements algériens se sont longtemps opposés au développement du tourisme, jugeant cette activité plutôt dégradante pour un grand pays comme le leur (dans les années 1970, les Algériens parlaient de la Tunisie comme d’une nation de garçons de café) qui devait devenir le leader du développement des États décolonisés de l’Afrique. L’ardeur socialiste poussait au choix des vraies industries, les « industries industrialisantes » (comme la sidérurgie par exemple) à partir desquelles devaient se développer les autres industries qui produiraient les biens manufacturés. Les revenus pétroliers devaient en assurer le financement. Néanmoins, les très fortes inégalités économiques et sociales, la corruption de hauts responsables politiques et militaires sont des facteurs favorables au développement de l’islamisme le plus radical. Il semblerait que le gouvernement algérien commence à se poser la question du développement touristique. Il est vrai que les revenus pétroliers donnent au gouvernement des moyens financiers qui lui permettent de réaliser les aménagements indispensables (le ministre de l’Aménagement du territoire est aussi le ministre du Tourisme). Mais la Tunisie et le Maroc ont pris une avance certaine.

Ne pas brader le territoire national

Le royaume marocain a clairement fait du tourisme un axe de développement économique avec pour objectif d’atteindre les 10 millions de touristes en 2010 (4,3 millions en 2000, 6 millions en 2006), la création de 70 000 emplois directs et indirects, et 8 à 9 milliards d’investissements (essentiellement du Golfe persique et d’Espagne). Le gouvernement égyptien a choisi la même orientation depuis plus longtemps encore. La « bétonnisation » des côtes de la mer Rouge ou de la Méditerranée est dénoncée par ceux qui regrettent la beauté naturelle de ces côtes et surtout les programmes de construction élaborés sans le moindre souci de respecter l’environnement, prenant le risque, à plus ou moins long terme, de dévaloriser ces stations balnéaires. Mais l’impératif économique prime dans un pays où l’économie reste fragile et les taux de chômage élevés, c’est pourquoi il faut attirer vite et en nombre des touristes aisés. Ces programmes sont parfois financés par de riches Égyptiens qui profitent de la spéculation foncière pour accroître leur fortune, en bénéficiant des prêts du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque mondiale. Quant aux commerçants de la vallée du Nil tels ceux de Louxor, ils y ont installé de nouveaux souks pour pallier la diminution du nombre de touristes à la suite des attentats des années 1990. Ces villages touristiques se doivent aussi d’être de véritables enclaves sécurisées. Or, au moins pour ce qui est du littoral du Sinaï, la situation géopolitique y est pour le moins risquée, comme le montrent les attentats de Taba en octobre 2004 (34 morts), de Charm el-Cheikh en juillet 2005 (70 morts) et de Dahab en avril 2006 (19 morts).

Le Royaume du Maroc est-il en train de reproduire la même politique ? Pour lui aussi l’urgence du développement économique est un impératif. Afin d’attirer les capitaux nécessaires à la construction des équipements touristique, le roi a décidé d’attribuer gratuitement des terrains à des promoteurs privés principalement venus du Golfe persique et d’Espagne, en contrepartie d’investissements de qualité. Ayant perçu l’accroissement de l’intérêt du public pour les questions environnementales et peut-être soucieux de ne pas reproduire les erreurs des autres, le gouvernement marocain affirme avoir choisi « un tourisme responsable » respectueux de l’environnement, des paysages et des modes de vie locaux, avec la volonté de faire signer une charte de « bonne conduite » pour un « tourisme durable » aux voyagistes. Ces bonnes résolutions peuvent faire sourire, néanmoins elles traduisent une prise de conscience de la nécessité de ne pas faire n’importe quoi au risque de détruire le capital touristique du Maroc. Cependant, malgré la préoccupation d’associer le plus grand nombre de Marocains aux mannes du tourisme, leur répartition reste (et restera ?) fortement inégalitaire. De plus, l’attribution gratuite de terrains très bien situés sur le littoral engendre des réactions très hostiles. Les autorités sont accusées de brader le territoire national aux étrangers et le bienfondé de ce type d’activités est contesté parce qu’il correspond aux modes de vie des Occidentaux et non aux traditions culturelles et sociales des Marocains. Inversement, au Cambodge c’est bien la reprise du tourisme avec la fin de la guerre civile qui a permis la préservation du site d’Angkor pillé pendant la guerre civile.

Tourisme et mafias

La Côte d’Azur et la Costa del Sol sont les deux régions touristiques où l’implantation mafieuse est sans doute la plus forte du fait de caractéristiques géographiques et géopolitiques bien spécifiques. Il s’agit de régions frontalières, à proximité desquelles se trouvent des paradis fiscaux (Monaco et Gibraltar), et où ont été implantés de nombreux casinos. La beauté des paysages, même si ceux-ci ont souffert de l’urbanisation massive du littoral, et les avantages d’un climat ensoleillé sont aussi des facteurs à ne pas sous-estimer. Tout ceci contribue à faire de ces régions des territoires très convoités où séjournent des personnalités très fortunées, chefs d’État tels que les émirs du Golfe persique ou la famille du roi d’Arabie saoudite sur la Costa del Sol, riches entrepreneurs russes pour la Côte d’Azur, et aussi bien sûr ce qu’on appelle la « jet-set », souvent consommatrice de drogues. La spéculation foncière y bat des records, l’immobilier étant, on le sait, un des principaux canaux de blanchiment de l’argent. Aussi, les mafias, dont l’Italie n’a pas l’exclusivité surtout depuis la chute du communisme, ont investi ces territoires, mafias espagnole, française, marocaine, russe, ukrainienne, albanaise. Selon une estimation d’Interpol, la Costa del Sol héberge jusqu’à 18 000 criminels étrangers de 70 nationalités. Leurs pratiques vont du trafic d’armes à la prostitution et au blanchiment d’argent. Plusieurs articles dans des grands quotidiens ont dénoncé le non-respect des règles en matière d’urbanisation et d’aménagement du territoire et la corruption de certains policiers ou élus locaux.

Plus de mobilité, plus de tourisme

La démocratisation du transport aérien

Le développement du tourisme Nord/Sud est dû entre autres facteurs à la baisse des prix des billets d’avion. Longtemps, on le sait, prendre l’avion a été réservé à une élite financière, ce qui a permis aux compagnies aériennes de se partager en bonne entente le marché, réduit certes mais très profitable. Un des premiers, si ce n’est le premier, des organisateurs de voyages à bas prix fut Jacques Maillot, le fondateur de Nouvelles Frontières. Le choix même du nom de sa société montre clairement son objectif : aller loin, ailleurs, vers d’autres frontières, pas celles qui se trouvent à proximité du territoire où l’on réside. Commencent alors les voyages de ceux que l’on appellera les routards et qui, étant de plus en plus nombreux, conduiront les éditions Hachette à promouvoir une nouvelle collection de guides devenue très célèbre, « Le Guide du routard », presque l’antithèse du « Guide bleu » destiné à une clientèle aisée et cultivée. Mais sans l’accès à l’avion bon marché, pas de tourisme de masse, car seuls les étudiants avec de longues vacances ou se mettant en sabbatique avant de commencer à travailler peuvent se permettre de partir en train, en bus, en vélo pour une découverte du vaste monde pendant plusieurs mois. Or, jusqu’à la fin des années 1970, le transport aérien était très réglementé, les compagnies nationales étaient assurées du monopole du trafic domestique (y compris dans les colonies) et les relations entre États se réglaient de façon bilatérale (Biplan, 2004). Ce système fut remis en cause aux États-Unis avec l’Airline Deregulation Act, qui entraîna d’ailleurs la disparition de la célèbre Pan Am et fragilisa la TWA. La remise en cause de ce système en Europe vint d’un arrêt de la Cour de justice européenne de 1985 (dit arrêt Nouvelles Frontières, car provenant d’une contestation de ce voyagiste).

Mais il n’y a pas que le tourisme de loisirs qui bénéficia de cette baisse des prix du transport aérien. Ainsi, l’augmentation colossale du nombre des pèlerins à La Mecque résulte non seulement de la croissance démographique des pays musulmans et du regain de ferveur religieuse, mais aussi de la baisse des prix du voyage et de la possibilité de trouver des voyages organisés. En 2006, on comptait 2,5 millions de pèlerins au grand pèlerinage annuel, le Hajj, contre 400 000 en 1969 (Labi, 1985). En France aussi, c’est un marché en pleine expansion : 6 000 pèlerins en 2000, 27 000 en 2006. Certains diront que ce n’est pas du tourisme. Mais en quoi un déplacement pour un pèlerinage ne relèverait-il pas de ce secteur ? On en rêve, on s’y prépare, sur place on achète des souvenirs, des voyagistes se sont spécialisés sur ce « produit », comme le montrent les nombreux sites Internet avec présentation des différentes catégories d’hôtel. Qui peut nier que l’activité touristique de Lourdes soit exclusivement liée à sa célèbre grotte et aux apparitions de la Vierge Marie à Bernadette Soubirou ? Les catholiques qui se rendent à Rome pour prier dans la basilique Saint-Pierre ou recevoir la bénédiction du pape sont aussi des touristes ; il en va de même pour Jérusalem et autres lieux célèbres de la chrétienté tels que Bethléem, où en effet la gravité de la situation géopolitique et les risques encourus ont entraîné un effondrement du nombre des touristes, ce dont se désespèrent marchands de souvenirs religieux et hôteliers.

Temps de loisirs et mobilité - les ingrédients de l’économie touristique : l’exemple français

Jean Viard, dans son Éloge de la mobilité (2006), explique que plus de temps disponible pour autre chose que le travail et une plus grande mobilité ont changé notre rapport au territoire. Sédentaires pendant des siècles, les Français sont, selon Jean Viard, devenus mobiles en un demi-siècle. Mais il y en a de plus mobiles que d’autres, les classes aisées et cultivées étant celles qui en profitent le mieux et le plus ; mobilité et temps libre sont ainsi devenus de nouvelles sources d’inégalités sociales mais aussi territoriales. Faut-il voir dans les émeutes urbaines de 2005 et les incendies de voitures une révolte contre l’immobilité comme le dit Jean Viard dans un entretien au Nouvel Observateur ? Peut-être, mais on sait que les explications de ces événements sont multiples (Giblin, 2006). En revanche la « culture de la mobilité » a assurément changé le rapport au territoire d’un grand nombre de Français. L’automobile n’est plus le seul, mais toujours le plus fréquent, moyen de se déplacer. Les tarifs « découverte » et autre carte senior de la SNCF, les prix de certains vols moins chers que le prix du taxi pour se rendre à l’aéroport, enfin les compagnies low-cost, attirent de plus en plus de clients. À la SNCF, la diversité des prix pour un même trajet, à la même heure, dans un même train est une révolution. Il a fallu un véritable changement de mentalité pour admettre que le prix ne devait plus être calculé au kilomètre parcouru et ce quels que soient l’heure et le jour du trajet, en quelque sorte abandonner un système égalitaire pour un système fondé sur l’offre et la demande augmentant les opportunités pour les clients et la rentabilité pour les transporteurs. Il s’agit de remplir les trains au mieux et donc faire varier les prix des places dans un même train pour attirer toutes les clientèles potentielles, reprenant ainsi la politique tarifaire du transport aérien mise au point aux États-Unis. Est-ce pour autant moins égalitaire ? C’est encore à voir quand on constate le succès de cette politique. L’énorme succès de l’opération « allers et retours TGV à 20 euros » traduit bien ce désir, sinon ce besoin, de voyager.

Le nombre des régions touristiques s’est par ailleurs fortement accru et, même dans une région comme le Nord-Pas-de-Calais, le tourisme est devenu un secteur économique très dynamique, et même dominant en certains lieux du littoral.

Le tourisme reste donc d’abord une affaire nationale.
Quelle lecture géopolitique est-il possible d’en faire ?

Le tourisme et la nation

Au seuil du mois d’août de l’été 2007, Le Nouvel Observateur a fait sa couverture sur les « 100 lieux qui ont fait la France » : n’était-ce pas suggérer aux lecteurs de se rendre sur certains d’entre eux ? Ce dossier s’achevait par une discussion entre l’historien Jacques Julliard et Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, rédacteur de ses principaux discours. Leur discussion était centrée sur l’identité française, ce qui est indirectement la confirmation du rôle toujours efficace du tourisme comme moyen de faire aimer la nation, non seulement par la mise en scène des lieux historiques mais aussi par celle de certains paysages. Des paysages sont ainsi devenus les emblèmes de la beauté du territoire national grâce aux livres de géographie et au calendrier des Postes : le cirque de Gavarnie, la Mer de glace, l’aiguille du Midi, le Mont-Saint-Michel, la pointe du Raz... auxquels on peut ajouter les grands ouvrages, du barrage de Génissiat au dernier en date, le viaduc de Millau. Ces lieux ne sont pas devenus par hasard des lieux touristiques, ils ont été jugés comme devant être représentatifs de la nation. Certains lieux touristiques contribuent donc à construire une représentation de l’identité nationale. Ceci n’est bien évidemment pas une particularité française, chaque territoire national par son histoire et sa géographie est mis en quelque sorte au service de la nation et de son unité. On se souvient des fêtes de Persépolis organisée par le shah d’Iran, qui étaient destinées à glorifier l’histoire millénaire de la Perse. Cette mise en scène de l’héritage des grands empereurs tels que Darius a rencontré l’hostilité des mollahs, non pas seulement pour leur faste et leur coût, mais surtout parce qu’elle montrait une grandeur de l’Iran antérieure au chiisme. De même, les imams égyptiens ne souhaitent pas que l’histoire de l’Égypte ancienne soit perçue comme faisant partie intégrante de l’identité égyptienne, qui est avant tout musulmane. Mais l’importance des lieux archéologiques, leur localisation - par exemple la proximité des pyramides du Caire - et l’extrême intérêt porté par les archéologues britanniques et français à ce patrimoine au point d’en faire une science à part entière, l’égyptologie, ont poussé les responsables égyptiens à prendre le contrôle de ces lieux et à les exploiter dans l’intérêt du pays. Mais les Égyptiens qui ne sont pas liés de près ou de loin avec le tourisme ne montrent pas forcément le même engouement pour l’histoire des pharaons. Cependant, à la suite des attentats de Louxor, qualifiés de catastrophe nationale par le ministre du Tourisme, afin de compenser l’absence des touristes étrangers le gouvernement a promu le tourisme national et des cars entiers de touristes égyptiens ont découvert la Vallée des rois et le site de Karnak. On peut s’étonner du long désintérêt pour certains sites archéologiques mais il n’est pas toujours facile de valoriser les traces d’anciennes périodes coloniales y compris quand elles datent de l’époque romaine.

Dans le cas du Vietnam où le tourisme des nationaux est plus important que le tourisme des étrangers (en 2004, sur 16,4 millions de touristes 2,8 étaient étrangers), le choix de mettre en valeur certains sites traduit la préoccupation des dirigeants de conforter l’identité nationale d’un peuple combattant et victorieux (Peyvel, 2007). Cu Chi, site militaire datant de la guerre contre les États-Unis, situé à 40 km au nord de Ho Chi Minh Ville, est devenu « un symbole de la guerre contre les Américains au Vietnam et cela à double titre : il célèbre l’astuce des Vietnamiens tout autant que leur martyre durant cette guerre... En plus d’être un lieu de culte, c’est aussi un lieu d’instruction, où l’on explique et où l’on enseigne cette guerre, afin d’en perpétuer le souvenir. Le public alors visé est essentiellement scolaire, afin que cette jeune génération soit consciente de ce qu’elle doit aux plus anciennes qui se sont sacrifiées » (ibid., p. 146). Le mémorial de Caen, celui de Péronne, la colline de Vimy dans le Pas-de-Calais répondent à cette même préoccupation.

Tourisme et identité régionale

Le tourisme dans certaines régions, comme la Bretagne par exemple, contribue aussi à alimenter la représentation de l’existence d’une identité régionale que l’on présente comme intangible, façonnée par le territoire et sa longue histoire. L’identité régionale devient en quelque sorte un produit touristique qui valorise les autres produits du secteur, le label « breton » ou de « bretonnité » assurant le marché. Toute région touristique ne dispose pas du même « capital d’identité régionale ». Dans le cas de la Bretagne ou de l’Alsace, la survivance d’une langue régionale est un atout, même si celle-ci n’est presque plus parlée, mais la toponymie et les enseignes des boutiques entretiennent l’illusion de la différence, de la distinction d’avec le reste de la France, c’est pourquoi, y compris en pays gallo où jamais on ne parla breton, il faut marquer le territoire du sceau de l’identité bretonne par la toponymie (Loyer, 2005). Dans la plupart des cas, ce retour aux « traditions régionales », revues et corrigées pour être adaptées aux besoins de la clientèle, contribue à dynamiser le tourisme régional qui dans nombre de villages ou autres pays permet le maintien, voire le retour, de l’activité économique. Néanmoins, il arrive que dans certains contextes politiques, une minorité accapare le discours sur l’identité régionale, sur sa préservation qui à ses yeux nécessite une impérative résistance pour éviter le « génocide culturel » du peuple breton, corse ou basque par le jacobinisme de l’État ; on quitte alors le champ de l’attachement légitime à sa région pour celui du nationalisme régional aux conséquences géopolitiques plus incertaines. Par exemple, les plus radicaux des militants régionalistes peuvent se tourner vers le terrorisme, même si, comme le montre l’article de Joseph Martinetti à propos de la Corse, d’autres raisons que la défense de l’identité du peuple poussent à l’acte terroriste. Nombreux sont désormais les sons et lumières, les mises en scène des hauts faits de l’histoire locale qui animent les soirées d’été, grâce à la mobilisation des historiens locaux, des finances des collectivités locales, des bénévoles de toute nature qui s’investissent dans la réussite du spectacle. Tous n’ont pas pour origine un projet politique, comme ce fut le cas pour le Puy du Fou, l’un des premiers du genre et sans doute la plus grande réussite. Quand le vicomte de Villiers démissionne avec fracas de son poste de sous-préfet pour ne pas se commettre avec l’État « socialo-communiste », il crée le spectacle du Puy du Fou pour célébrer la résistance des chouans vendéens à la Révolution française et y associe la population locale par le biais du bénévolat : de l’utilité de la région mémoire en politique !

Bibliographie

 BIPLAN P. (2004), « Les compagnies aériennes entre la nation et la mondialisation », Hérodote, n°114, « Aviation et géopolitique », La Découverte, Paris.

 CONFRAVEUXJ. et ROMANOA. (2007), Égypte : histoire, société, culture, coll. « Les Guides de l’État du monde », La Découverte, Paris,

 DENÉCÉE. et MEYERS. (2006), Tourisme et terrorisme. Des vacances de rêve aux voyages à risque, Ellipses, Paris.

 DEWAILLYJ.-M. (2006), Tourisme et géographie. Entre pérégrinité et chaos ? L’Harmattan, coll. « Tourismes et sociétés », Paris.

 FRALONJ.-A. (2007), Au secours les Anglais nous envahissent, Michalon, Paris.

 LABI M. (1985) « LaMecque et l’énorme augmentation du nombre des pèlerins. Les centres de l’islam », Hérodote, « Géopolitiques des islams », n° 36, La Découverte, Paris. <maroc-hebdo.press.ma/MHinternet/Arc...>
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 PEYVELE. (2007), « Tourisme et construction des identités vietnamiennes », in FURT Jean-Marie et MICHELFranck (dir.), L’Identité au cœur du voyage, L’Harmattan, coll. « Tourismes et sociétés », Paris.

 VIARDJ. (2006), Éloge de la mobilité. Essai sur le capital temps libre et la valeur du travail, Éditions de l’Aube, La Tour-d’Aigues.


L’institut Français de Géopolitique offre des formations de master intenses, exigeantes et passionnantes !

Hérodote est historiquement liée à la formation en géopolitique (master et doctorat) de l’Université Paris 8 — Vincennes - Saint-Denis, l’Institut Français de Géopolitique (IFG) où ont enseigné son fondateur Yves Lacoste, sa directrice Béatrice Giblin (également fondatrice de l’IFG), et une partie importante de l’équipe de la revue.

La première année est consacrée à la formation à et par la recherche, qui est au cœur du projet intellectuel et citoyen de l’École France de Géopolitique. Les étudiants et les étudiantes doivent écrire un mémoire de recherche d’une centaine de page appuyé sur une enquête de terrain d’un mois en autonomie. Un accompagnement fort leur est proposé pour favoriser leur réussite durant cette année si différente de leurs expériences précédentes.

En seconde année, quatre spécialisations professionnalisantes sont possibles : géopolitique locale et gouvernance territoriale, géopolitique du cyberespace, nouveaux territoires de la compétition stratégique, analyse des risques géopolitiques et environnementaux. Toutes ces spécialisations sont ouvertes à l’alternance, et la majorité des étudiants et des étudiantes a désormais un contrat d’apprentissage. Celles et ceux qui souhaitent faire une seconde année de recherche le peuvent, notamment en préparation d’un projet de doctorat.

Avec 85 places en première année, le master de l’IFG offre aussi une véritable vie collective de promo, animée notamment par une association étudiante dynamique. Les étudiantes et étudiants viennent de nombreuses formations et disciplines, notamment : géographie, d’histoire, de droit, de sociologie, de science-politique, Économie et gestion, langues (LLCE/LEA) ou de classes préparatoires.

Les candidatures en première année de master se font exclusivement via la plateforme nationale monmaster.gouv.fr du 26 février au 24 mars 2024. Toutes les informations utiles se trouvent sur le site www.geopolitique.net. En deuxième année, les candidatures doivent passer par le site de l’Université. L’IFG n’offre pas de formation au niveau licence.

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    (Uniquement à partir du numéro 109, second trimestre 2003)
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  • Thèmes envisagés

    Thème (date de rendu des articles)
    - Bassin de la mer Rouge (non déterminé)
    - Climat et Géopolitique (non déterminé)
    - Aérien et spatial (non déterminé)… Lire la suite.

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