La région de Bassora présente une situation géopolitique particulière qui ne serésume pas au seul fait qu’il s’agit d’une région très majoritairement chiite. Son histoire, sa situation géographique et les gisements pétroliers qui s’y trouvent en font une région à l’identité marquée. La chute du régime de Saddam Hussein ya entraîné de fortes rivalités entre les différents groupes sociaux et religieux mais aussi et surtout entre les différentes forces politiques chiites. Certaines comme l’ASRII, (la force politique chiite la plus importante et proche des dirigeants chiites iraniens) et Fadhilayont leur base militante, d’autres comme le parti de Muqtada Sadr, bien implanté à Bagdad, essaient de s’y implanter pour en prendre le contrôle, les richesses pétrolières étant très convoitées. Chaque parti a mis en place une milice armée pour assurer sa domination sur certains territoires, ce qui alimente les affrontements meurtriers entre eux.

Abstract : Basra : Geopolitics of a Shi’a Region

The region of Basra presents a particular geopolitical situation which is not only related to the fact that the region is majority Shi’a. Its history, geographic location and oil deposits have contributed to its strong identity. The fall of Saddam Hussein’s regime brought with it fierce social and religious rivalries, even more so between the various Shi’a political forces. Two such forces, ASRII - the most important Shi’a political force with ties to the Iranian Shi’aleadership - and Fadhila,have settled their military bases in the region ; others such as the party of Muqtada al-Sadr, well established in Bagdad, are attempting to gain control of the region, not least because of the presence of its coveted oil deposits. Each of these parties has its armed militia dominating different territories, leading to violent clashes.

Article complet

Une identité communautaire et historique à part

Bassora est la deuxième grande ville d’Irak : en 2007, on estime sa population à plus de 1700000 d’habitants. Située sur le canal Chatt-al-Arab, à 55 km du golfe Persique, la ville présente deux atouts : sa situation portuaire et son statut de centre des exploitations et de l’industrie pétrolière du Sud. Bassora a été, traditionnellement, un noyau commercial et financier important et sa situation géographique médiane entre la péninsule arabique, l’Iran et la région du Tigre et de l’Euphrate lui a assuré une position stratégique. L’identité culturelle et traditionnelle de sa population est différente de celle de Bagdad, avec laquelle elle est enrivalité permanente, comme d’ailleurs avec les villes saintes chiites de Nadjaf et Karbala. Bien que la grande majorité de la population soit chiite, il existe un pourcentage significatif de sunnites - 15% d’Arabes et de Kurdes -, de chrétiens (Arméniens, Chaldéens, Assyriens) et de mandéens, secte gnostique accordant lapriorité au personnage de saint Jean-Baptiste [1]. Il faut mentionner aussi la présence d’une minorité noire (les Zanj), descendants des esclaves amenés dès le VIIIesiècle par les gouverneurs musulmans de Bassora comme main-d’œuvre sur les plantations du sud du pays [2]. Comme dans les autres territoires du Sud, la conversion au chiisme des tribus, nomades ou sédentaires, jusqu’alors sunnites n’a lieu qu’aux XVIIIeet XIXesiècles. Ilexiste à l’intérieur de la communauté chiite de Bassora une division entre la grande majorité qui suit la ligne osulite, c’est-à-dire ceux qui reconnaissent l’autorité de la marja’iya [3], et une petite minorité qui reste fidèle à un courant théologique développé au XIXe siècle, le shaykisme. L’école shaykite a été créée par Ahmad al-Asha’i (†1826), et met l’accent sur une lecture mystique de la tradition chiite, en plaidant pour une relation directe etimmédiate avec l’Imam caché [Corbin, 2003]. Présents également à Nadjaf, à Karbala et dans d’autres centres théologiques d’Iran comme en Arabie saoudite et au Bahreïn, les shaykites se tiennent à l’écart du pouvoir politique. La communauté est dirigée par Ali al-Musawi, et, à Bassora, sur le fond des rivalités d’après 2003, elle a créé sa propre milice armée pour se protéger et a signé plusieurs pactes avec les autres forces politiques et militantes.

Du temps de la domination ottomane, Bassora a été la capitale du wilayet du même nom et, comme à Bagdad, une élite politique et commerciale sunnite en relation très étroite avec les autorités ottomanes s’y est formée. Ce n’était toutefois pas la seule ; il existait aussi une classe bourgeoise chiite spécialisée dans le commerce maritime, et d’importants commerçants juifs et chrétiens. Ainsi, de très grandes familles de commerçants - Khudhayri, Garibian, Saleh, Asfar, Naquib - entretenaient des contacts et des clientèles dans tout le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Inde ou l’Europe. Ce climat d’ouverture économique a facilité l’émergence d’un cosmopolitisme culturel et comportemental qui a fait que Bassora ressemble plutôt aux grandes villes maritimes du Levant comme Beyrouth, Tyr, Salonique, Alexandrie ou Istanbul.

Vers le milieu du XXesiècle, le renforcement de l’État irakien, la découverte et l’exploitation du pétrole et le processus de modernisation ont favorisé l’accroissement démographique de la ville, avec l’arrivée d’ouvriers qualifiés, de diplômés, d’employés administratifs qui ont constitué une classe moyenne urbaine. En même temps, jusqu’en 1958, la crise du secteur agricole dans les régions du Sud aprovoqué un premier exode des populations rurales vers les grands centres urbains, surtout Bagdad et Bassora. Plus tard, la deuxième vague de l’exode rural est due à la politique ba’thiste de l’assainissement des marais dans les années 1980 : une partie considérable des tribus qui yvivaient, mais aussi de nombreux déserteurs, opposants politiques, délinquants et autres contrebandiers réfugiés dans ces marais sont contraints de s’établir dans les périphéries urbaines de Bassora, dans les quartiers Jumhuriya, Husayn, Asma’i, Hayaniya, Tannuma. Ces nouveaux arrivants n’ont pas été bien vus par les milieux bourgeois, et les tensions et les conflits se sont alors multipliés entre les uns et les autres. Cette fracture sociale, accentuée par la mise en circulation de certaines valeurs morales et culturelles différentes, devient une des caractéristiques essentielles de la situation de l’après-Saddam à Bassora, comme à Bagdad, Nadjaf et d’autres villes chiites où une grande partie de la population reste marquée par les pratiques tribales [International Crisis Group, 2007]. En effet, après 2003, l’influence des tribus à Bassora comme dans l’ensemble de la province a considérablement augmenté. Dans le contexte de l’écroulement des structures politiques, administratives et sécuritaires de l’ancien régime, les leaders tribaux ont assumé un rôle important dans la direction locale. Au début, ils yont été invités par les troupes britanniques, puis, par la suite, ils ont intégré l’Assemblée fédérale irakienne. Celle-ci, constituée en décembre 2004, rassemblait des représentants tribaux et non tribaux de la province de Bassora et plaidait pour une autonomie régionale plus grande et un fédéralisme administratif. Cependant, l’autorité des leaders tribaux diminuera petit à petit, avec l’émergence des partis politiques et des mouvements islamistes qui savent mieux tirer profit du mécontentement économique et du besoin d’identité et de respect social de la population. Par exemple, le quartier Hayaniya, dont la structure et l’histoire urbaines sont similaires à celles de Sadr-City, est devenu le fief du mouvement sadriste et ce d’autant plus que, à cause du contrôle restreint exercé à Bassora par les forces de la coalition, c’est ici qu’ont trouvé refuge une partie des leaders politiques et militaires sadristes de Bagdad lors de l’application de plans pour sécuriser la capitale. Les rivalités et tensions entre les leaders tribaux et la nouvelle élite politique et militaire islamiste sont dues à une différence culturelle et de projet politique. En effet, les tribus venues des régions marécageuses, à la religiosité populaire simpliste et à l’éthique religieuse assez flexible, trouvent difficilement supportables les excès idéologiques des leaders islamistes, et surtout leur volonté d’imposer une dimension islamique intégrale aux comportements sociaux et privés de la population, conformément à une lecture rigoriste de la Charia et à l’islamisation de l’État.

Tribus, partis et milices : Bassora comme exemple d’une ville irakienne fracturée

Les premières réalités post-Saddam

En mars 2003, Bassora est la première grande ville irakienne occupée par les forces de la coalition. Conformément aux plans militaires de l’opération Liberté pour l’Irak, le secteur sud du pays a été confié aux troupes britanniques, étant donné la longue tradition des rapports anglo-irakiens entre 1920 et 1958. Pendant cette période Bassora a été un centre commercial important, servant les intérêts économiques britanniques dans la région, et un élément clé du système de sécurité installé par la Grande-Bretagne dans le golfe Persique (avec le Koweit et les émirats), visant à protéger la production et le transport pétroliers ; près de Bassora se trouvait également l’une des plus importantes bases de la Royal Air Force pour le Moyen-Orient [Visser, 2006] [4].

Les objectifs stratégiques immédiats des forces britanniques étaient le désarmement des troupes militaires et de sécurité irakiennes, la destruction du supposé armement NBC, le démarrage immédiat d’un processus de déba’thisation des institutions de l’État et de sécurisation de l’infrastructure économique des territoires qui se trouvaient sous leur contrôle (en particulier l’infrastructure pétrolière), enfin l’installation d’une administration civile transitoire. Pendant les premières semaines de l’administration des provinces de Bassora et Maysan par les Britanniques, ceux-ci ont centré leurs actions sur la chasse aux anciens leaders ba’thistes ou des services de sécurité et sur la recherche des personnes les plus compétentes pour assurer l’administration locale. À Amara, après qu’on eut chassé ou arrêté les ba’thistes de la ville, la population a choisi un leader local, Karim Mahood Hattab (Cheikh al-Muhammadawi), dit « le Prince des marais », un dirigeant du Hezbollah irakien.

À Bassora cependant, le processus a été plus compliqué, à cause de la complexité même du milieu humain. Au début, les Britanniques ont facilité l’installation d’un leader tribal à la tête du nouveau conseil municipal, le cheikh Musahim Tamini, probablement à cause des contacts établis entre les services d’informations alliés et plusieurs tribus du Sud avant même la campagne militaire. Mais, ancien collaborateur du régime ba’thiste, Tamini est vite contesté, surtout par les milieux urbains et les élites commerciales de la ville [5]. Ilest remplacé par Ghalib Khubba, un des plus riches personnages de Bassora, qui lui aussi a eu des rapports très étroits avec le parti Ba’th, voire avec la famille de Saddam [6]. En juin 2003 il est finalement remplacé par Wael Abdul Latif, juge chiite qui a fait l’expérience des prisons irakiennes pendant un an. Celui-ci sera élu gouverneur de la province de Bassora par le Conseil consultatif intérimaire [7]. Comme dans le reste de l’Irak, la situation de Bassora met en évidence les difficultés pratiques du processus de reconstruction et celles de trouver des personnes compétentes qui n’aient pas eu deliaison visible avec l’ancien régime. Mais la contestation des leaders s’explique aussi par le clivage social qui existe entre la classe moyenne urbaine et la populationtribale. L’élite commerçante de Bassora cherche non seulement à préserver ses privilèges économiques, mais aussi à accaparer le pouvoir politique. Elle s’oppose donc, dans les premières années de l’après-Saddam, tant au retour des partis chiites islamistes qu’à une ascension des leaders tribaux ou d’une population urbaine pauvre sous l’influence du mouvement sadriste et du parti Fadhila.

L’annonce, en novembre 2003, de la date du 24 juin 2004 comme date du transfert d’autorité vers le Conseil irakien de gouvernement (CIG) a aggravé les rivalités sur le terrain. L’incapacité des forces militaires alliées et des nouveaux services de sécurité et de police irakiens à bien contrôler l’entropie croissante de la société irakienne a contribué à exacerber les violences en tout genre, non seulement interconfessionnelles ou interethniques, mais aussi à l’intérieur d’un même groupe. L’unité de la communauté chiite n’est qu’une simple illusion conceptuelle car, tant idéologiquement que sur le terrain, il ya une lutte féroce entre les différents partis et factions, et un jeu d’alliances permanent qui obéit moins aux projets des leaders centraux qu’aux intérêts conjoncturels locaux.

Dès les premiers mois de la libération de l’Irak, et surtout après l’automne 2003, le doublement de l’appareil politique des partis et des factions chiites avec des milices qui assurent et défendent leur domination au niveau des quartiers, des localités, ou même des régions devient absolument nécessaire. Ces milices se substituent, infiltrent et même bloquent le rôle des fonctions sécuritaires des nouvelles forces de l’ordre créées par le gouvernement irakien, quand elles n’en fournissent pas elles-mêmes les principales recrues, réussissant ainsi à s’assurer un financement et un armement de façon parfaitement légale. La croissance de l’influence des partis islamistes et la politique d’intimidation ou d’élimination des rivaux menée avec l’aide des forces paramilitaires ont fait que petit à petit l’influence des partis et des personnalités de tendances laïque ou libérale a diminué. Bassora en est un exemple : un milieu cosmopolite avec une grande ouverture culturelle arrive à être accaparé et dominé par des acteurs politiques et militants qui prônent un projet islamiste.

Les partis chiites historiques : Da’waet l’ASRII

Les grands acteurs islamistes qui se sont imposés dès les premiers jours qui ont suivi la chute de Saddam Hussein sont l’Assemblée suprême de la Révolution islamique en Irak (ASRII - devenu, depuis le 11 mai 2007, le Conseil irakien islamique suprême, CSII) et le mouvement sadriste. S’y adjoignent également des membres des fractions du parti Da’wa, dont l’infrastructure et les capacités de mobilisation sont très inférieures à celles des deux précédents.

Apparue officiellement le 17 novembre 1982 en Iran, l’ASRII a été initialement l’un des nombreux projets de rassemblement des différents groupes chiites afin de constituer un front uni contre le régime ba’thiste irakien. Elle a mis en place nombre d’activités sociales, religieuses et culturelles pour venir en aide auxIrakiens en exil, mais aussi pour attirer de nouveaux membres, se définissant avant tout comme un mouvement de masses, structuré autour de la personnalité charismatique de l’ayatollah Muhammad Baqir al-Hakim, membre d’une des plus importantes familles cléricales chiites. Al-Hakim a usé de la vaste influence internationale et des ressources financières et logistiques de sa famille afin de promouvoir son image de futur leader d’un régime islamique dans l’Irak libéré [Jabar, 2003]. Bien que pendant deux décennies al-Hakim et l’ASRII aient été, par tradition, associés à l’idée de la fidélité au principe velayet-e fatih, avouant publiquement, lors de leur exil iranien, qu’ils reconnaissaient comme Guide suprême Khomeyni puis Khamenei, leur position évolua avec la chute du régime ba’thiste. Revenu à Nadjaf et souhaitant s’intégrer aumarja’iyya, Muhammad al-Hakim tenta de corriger son image pro-iranienne et son discours prit un caractère nationaliste prononcé mettant l’accent sur l’indépendance et l’autodétermination d’un Irak unitaire. Il fut en fait moins préoccupé par les questions religieuses que par ses propres intérêts, cherchant à acquérir le plus d’influence possible au sein de la communauté chiite et accéder ainsi aux postes de décision dans la nouvelle structure politique contrôlée - à l’époque - par les États-Unis. Ila aussi tenté de gagner la fidélité des chefs tribaux, des membres influents du clergé et du milieu politique irakiens, escomptant en même temps collaborer avec l’administration américaine. Ainsi, des membres de l’ASRII participèrent aux conseils municipaux et nationaux, aux comités électoraux et au Conseil de gouvernement intérimaire. Si les relations entre Al-Hakim et Sistani sont plutôt bonnes, en revanche ses rapports avec le mouvement sadriste sont exécrables non seulement à cause de leurrivalité pour la domination du camp chiite irakien, mais aussi du fait de l’adversité entre les deux familles cléricales, Al-Sadr et Al-Hakim. L’assassinat du Muhammad al-Hakim, le 29 août 2003, a privé l’ASRII de son leader, et le nouveau leader, Abdelaziz al-Hakim, n’a ni la même autorité religieuse, ni le même charisme que son frère, ce qui a affaibli l’influence du parti dans les années qui ont suivi [8].

Quant à Da’wa, si ses leaders cléricaux provenaient de Nadjaf et Karbala, les dirigeants laïcs venaient principalement de Bassora. Le fait qu’une partie d’entre eux soient partis se réfugier en Iran pendant la guerre Iran-Irak a entraîné une rupture à l’intérieur du parti, donnant naissance en Iran à al-Da’wa al-Islamiyya [Jabar, 2003]. Dans les années 1980, al-Da’wa al-Islamiyyaa été proche de l’ASRII et a trouvé un soutien logistique dans la République iranienne. Peu présent dans les années 1990, ce parti réapparaît à la veille de la campagne militaire d’Irak sous un nouveau nom, celui de Harakat al-Da’wa(Le Mouvement Da’wa) [9]. Son leader, Abd al-Zahra Uthman Muhammad, plus connu sous le nom d’Izz al-Din Salim, participe, en décembre 2002, à la conférence de l’opposition irakienne à Londres, acceptant ensuite de faire partie du Conseil irakien de gouvernement. Les rapports d’Izz al-Din Salim avec la famille Al-Hakim étaient étroits et, au fil des années, il a réussi à concilier la dimension nationaliste arabe caractérisant tout le mouvement Da’waet l’ouverture interconfessionnelle envers les sunnites, avec l’acceptation partielle des principes d’un État islamique selon le modèle iranien dirigé par des clercs. Or l’assassinat d’Izz al-Din Salim, au mois de mai 2004 [10], affaiblit le parti qui choisit alors de concentrer ses activités sur Bassora, sa principale zone de recrutement.

Au Sud, des membres des brigades Badr, représentant l’aile paramilitaire de l’ASRII, se sont infiltrés depuis l’Iran autour de Bassora dès la fin 2003, après avoir réussi à contrôler Baquba et Kut. Ensuite, une fois revenus en Irak, les dirigeants de l’ASRII - après que leur leader a accepté de participer au Conseil irakien de gouvernement - se sont impliqués immédiatement dans la politique et la vie communautaire des localités chiites. Des dizaines de milliers d’exilés en Iran ou d’anciens prisonniers de guerre reviennent à Bassora ; la plupart sympathisent avec le parti d’Al-Hakim, ce qui accroît son influence. Une grande partie des personnes revenues d’Iran ont fait fortune pendant leur exil et continuent à ymaintenir des relations privilégiées ; l’ascension politique et économique des membres de l’ASRII rentrés en Irak est due en grande partie à ce soutien, direct ou indirect, accordé par les milieux politiques et militaires iraniens ou par d’anciens collaborateurs iraniens du milieu des affaires. Par conséquent, dans la province de Bassora comme dans d’autres régions, des leaders et des membres de l’ASRII ou des proches du mouvement ont tiré profit du processus de privatisation pour acheter des fermes, des entreprises, des centres commerciaux ou pour investir dans des compagnies électriques, des moulins, des compagnies de services pétroliers,etc. [11]. Cette constitution rapide d’une nouvelle couche sociale aisée, en relation étroite avec les partis islamistes venus de l’extérieur, a provoqué l’aversion des milieux commerciaux traditionnels de Bassora qui se voient concurrencés, voire exclus des enjeux économiques importants, justement à cause des rapports étroits entre les représentants provinciaux de l’ASRII et les leaders du parti assumant des fonctions dans les organes dirigeants de l’État. L’ascension politique au niveau local, régional et national a clairement été une priorité pour l’ASRII. Dans la région de Bassora, profitant des relations de collaboration entretenues les années précédentes par l’élite du parti avec les services d’information britanniques, les représentants de l’ASRII deviennent des partenaires privilégiés du dialogue avec les autorités politiques et militaires britanniques chargées d’assurer la transition et la mise en place des nouvelles structures politiques provisoires. Il s’ensuit que les représentants de l’ASRII se font désigner ou réussissent à se faire préférer pour assumer des fonctions de direction au niveau provincial, dans les conseils municipaux ou diverses institutions de l’État. Ilsobtiennent ces postes grâce à l’adhésion officielle du parti au programme de reconstruction de l’Irak mis sur pied par les forces de la coalition et ont en plus l’avantage d’être appuyés sur le terrain par un réseau de membres du parti et d’adeptes.

À Bassora, comme à Bagdad, les membres des brigades Badr intègrent les nouveaux services d’informations et les forces de police et yaccaparent les fonctions de direction. Outrepassant souvent leur champ d’intervention légale, ils se sont adonnés pendant la première année de l’après-Saddam à la poursuite, l’arrestation,la détention dans des prisons non autorisées et même à l’exécution de ceux accusés de crimes pendant la période ba’thiste. Souvent, comme partout ailleurs en Irak, la chasse aux anciens collaborateurs devient un prétexte pour des règlements de comptes politiques, confessionnels ou personnels. Tandis qu’à Bagdad ces actions de vendetta sont effectuées par des membres chiites de la police ou des services de sécurité, avec l’aide de collaborateurs, en prenant souvent la forme des célèbres « escadrons de la mort », à Bassora l’implication des officiels est moins visible, ceux-ci confiant à plusieurs groupes clandestins la charge d’exécuter ces basses besognes.

Le plus réputé de ces mouvements qui collaborent avec les brigades Badr est Thar Allah(« La Vengeance d’Allah »). Dirigé par Sayed Youssef al-Musawi, il entretient des relations étroites avec les services de sécurité iraniens [12] et recrute tant parmi les exilés revenus d’Iran que parmi les membres des tribus de Bassora, car Youssef al-Musawi, ancien officier de marine, a été le leader d’un groupe de résistance antiba’thiste réfugié dans la zone des marais à partir de 1995. Arrêté et enfermé à Abou Ghraib, il est libéré en octobre 2002, à la suite d’une amnistie accordée par Saddam sous la menace des interventions militaires occidentales. Peu à peu, Thar Allahétend son influence dans d’autres régions du Sud et même vers Bagdad, et passe petit à petit de la condition de milice de quartier à celle departi, en collaborant avec l’ASRII et étant, comme l’ASRII, en rivalité avec Fadhila. Le programme politique proposé par Thar Allahvise explicitement à installer un régime théocratique en Irak selon le modèle iranien. Tout comme dans le cas du mouvement sadriste, les quartiers contrôlés par Thar Allahconnaissent un contrôle strict du respect de la tenue et des activités halal ; on yinterdit, voire on tue dans certains cas, les vendeurs d’alcool, de musique, de films occidentaux, ou les prostituées [13]. Une partie du financement du groupe provient du racket de commerçants riches, telle la famille Ashour qui contrôle le port d’Abou Flous, menacés de représailles s’ils résistent.

Une autre milice locale, apparue dans les premiers mois de l’après-Saddam, est Sayed Al-Shuhada(« Le Maître des Martyrs »), dirigée par Halal Naim al-Musawi, soupçonnée elle aussi de se fournir en armements et de se laisser financer par les services d’informations iraniens [14]. Avec le Shaheed al-Mihrab, groupe dirigé par Ammar al-Hakim, le fils du leader de l’ASRII, et le Hezbollah irakien d’Abu Hatim, Thar Allahet Sayed Al-Shuhadasont des groupes partenaires de l’ASRII, sur le plan militaire et politique dans le cadre de l’Alliance nationale unifiée. Les cinq mouvements sont connus sous le nom de Bayet al-Khumasi, « La Maison à cinq coins », et sont les principaux promoteurs du projet de la région du Centre et du Sud (Iqlim Al-Wasat wa-al-Janub), basé sur l’idée d’autonomie économique et culturelle des neuf provinces chiites.

Les mouvements sadristes

Muqtada al-Sadr : mouvement de masse, nationaliste et millénariste

L’importance de Muhammad Sadiq al-Sadr (1943-1999) - connu aussi sous le nom de Sadr II -dans le paysage géopolitique interne de l’Irak a été surtout d’avoir été le créateur d’un mouvement de masse organisé grâce à son charisme, mais aussi grâce aux réseaux de ses représentants, actifs dans les milieux défavorisés de la population chiite des périphéries des grandes villes chiites du Sud [Harling, Yassin Nasser, 2007].

Trois éléments importants ont défini le programme de Sadr II, qui perdurent après 2003. D’abord, le mouvement sadriste affiche les caractéristiques d’un courant islamiste, visible surtout par l’usage des codes de comportement conservateurs, mais qui laissent encore de la place, à côté de la Shari’a, aux normes sociales tribales traditionnelles. Deuxièmement, la persistance d’une vision nationaliste et pro-irakienne, qui marque une rupture par rapport à la dimension panchiite assumée traditionnellement par la plupart des partis chiites historiques. En faisant un plaidoyer pour une marja’iyapurement arabe, il conteste la légitimité des membres du haut clergé de Nadjaf et de Karbala, qui sont pour la plupart des non-Irakiens, et dont le manque d’ardeur à défendre la communauté chiite d’Irak face aux excès du pouvoir de Bagdad était expliqué par leur caractère allogène et par leur faible sentiment d’appartenance à la nation irakienne. Enfin, Muhammad Sadiq al-Sadr a été l’un des principaux propagateurs d’un phénomène qui prend une grande ampleur dans l’Irak d’après Saddam, à savoir l’émergence des thèmes messianiques concernant l’imminent retour de l’Imam caché et l’instauration d’un État mahdiste.

À la mort de son père en 1999, l’ascension de Muqtada à la tête du mouvement sadriste n’a pas été appréciée de tous et une partie des anciens adeptes ont déclaré leur fidélité à d’autres personnalités éminentes, tels Al-Yaqubi ou Mahmud al-Hasani. Dépourvu des prérogatives religieuses nécessaires pour imposer son autorité conformément au système traditionnel chiite, Muqtada a fait appel, pendant les deux premières années, au prestige de l’ayatollah Al-Haeri, ancien disciple de son père, se trouvant alors en Iran ; pourtant, peu à peu, une série de désaccords mènera à leur rupture. Parmi les causes de cette rupture, hormis son attitude trop visiblement pro-iranienne, Al-Haeri semblait être de plus en plus enclin à se présenter comme le successeur légitime de Sadr II. Après une période de fronde radicale contre presque toutes les autorités irakiennes (les nouvelles élites politiques, les forces de la coalition, le corps des membres du haut clergé chiite), qui a atteint son paroxysme avec l’insurrection du printemps-été 2004, lorsque les milices sadristes ont été assiégées dans l’enceinte du mausolée de Nadjaf, Muqtada a choisi de s’intégrer au processus politique. Ainsi, le mouvement finit par prendre une triple dimension, sur le modèle du Hezbollah libanais : mouvement de masse mobilisé surtout par un vaste réseau de membres du clergé inférieur et divers représentants sadristes ; création d’une milice, Jaish al-Mahdi, qui deviendra la plus importante force militaire irakienne d’un parti politique ; et, enfin, un corpus politique [Cockburn, 2008]. Fort du soutien des masses populaires non seulement au sein des classes sociales défavorisées, mais aussi au sein d’une couche moyenne qui s’identifie aux messages nationalistes et à l’opposition constante à la présence des troupes étrangères, le mouvement sadriste est devenu la principale force politique chiite, à en juger par le nombre de ses membres élusau Parlement. Les députés sadristes ont joué un rôle décisif dans l’installation au pouvoir des gouvernements d’Ibrahim al-Jafari et de Nuri al-Maliki, en accordant leur soutien au parti al-Da’wacontre l’ASRII, le principal rival chiite des sadristes. Cependant, après une période de coopération, début 2007 une rupture de plus en plus nette commence à apparaître entre le Premier ministre et les leaders sadristes, Muqtada critiquant la faible résistance d’Al-Maliki aux influences américaines, mais aussi iraniennes.

L’émergence du mouvement sadriste à Bassora a été favorisée par le réseau developpé par son père Muhammad Sadiq al-Sadr. Comme Sadr-City pour Bagdad, le quartier Hayaniya, peuplé par l’immigration tribale des marais et le prolétariat suburbain, représente la base territoriale la plus importante des sadristes(cf. carte de Bassora ci-après). Au départ, ses membres ont eu la même stratégie dans la plupart des quartiers, prenant le contrôle des mosquées, des hôpitaux, des institutions scolaires. Les propagandistes sadristes ensuite font leur apparition dans les universités, en essayant par la persuasion et en recourant parfois aux menaces et aux agressions de convaincre les étudiants et les professeurs - en particulier les femmes - d’adopter un comportement et des tenues islamiques [15]. Mais, du point de vue militaire, son efficacité fut moindre. En effet, aucours des deux premières années, des membres de Jaish al-Mahdi se sont constamment affrontés aux troupes britanniques, mais sans réussir à provoquer leur retrait de la province. Pendant l’insurrection d’avril-mai 2004, le leader local du mouvement, Cheikh Abdul-Satar al-Bahadli, a proclamé le jihadcontre la présence étrangère, mais, bien qu’il ait réussi à occuper le siège du gouverneur provincial, il en sera vite chassé par les forces britanniques et la police irakienne [16]. En outre, l’attitude radicale d’Al-Bahadli n’a pas reçu le soutien des leaders sadristes de Nadjaf et Bagdad, puisque proclamer le jihadne fait pas partie de la tradition chiite, surtout si l’action est initiée par un membre du clergé inférieur. Mais la position adoptée par Al-Bahadli est symptomatique d’une certaine autonomie des leaders sadristes de Bassora (et aussi de Maysan et Dhi Qar) par rapport au pouvoir du centre, particulièrement en 2004-2007, lorsque le mouvement sadriste de Bassora semble se préoccuper des réalités locales plus que des intérêts stratégiques établis au niveau national. Ainsi, bien que les positions adoptéespar Muqtada et d’autres membres du clergé à la tête du pays soient critiques à l’égard de l’Iran, dans les gouvernorats du Sud les complicités des sadristes avec les autorités ou différents acteurs iraniens ont fini par faire partie d’un modus vivendi à l’avantage de tous. Par exemple les leaders militaires sadristes, tel Cheikh Ahmad al-Firtusi, ont été soupçonnés de recevoir de l’armement performant de la part des services d’informations iraniens, armement utilisé dans leurs attaques contre les forces britanniques de Bassora.

Un parti régionaliste : Hibz al-Fadhila

Un autre mouvement proche du mouvement sadriste, bénéficiant d’une position centrale à Bassora, est le Parti de la Vertu (Hibz al-Fadhila)dirigé par l’ayatollah Muhammad Yaqubi, qui, dans la hiérarchie chiite, a seulement le titre de guide spirituel. Il a été l’un des étudiants de Muhammad Sadiq al-Sadr après la mort duquel il a continué sa carrière cléricale en enseignant à l’Hawzade Karbala [17]. Fadhilas’appuie sur une vision doctrinaire puissamment marquée par le millénarisme, comme d’ailleurs tout le mouvement sadriste, ce qui lui assure une certaine audience auprès des classes défavorisées et imprégnées par la spiritualité eschatologique chiite. Dès avril 2003, Yaqubi est devenu un critique radical de la présence étrangère sur le territoire irakien, et en général un opposant à tout ce qui peut évoquer la culture occidentale. Il utilise lui aussi des symboles religieux pour susciter l’émotion populaire, présentant l’occupation américaine comme un conflit entre le bien, représenté par le Mahdi qui doit faire prochainement son apparition, et le mal, awar al-dajal (« le Menteur borgne »), c’est-à-dire l’Amérique, qui essaye de corrompre les croyants musulmans par de l’argent [18].

CARTE - LA VILLE DE BASSORA

La base militante de Fadhila se recrute surtout dans les provinces du Sud, Bassora tout d’abord, où de nombreux membres et sympathisants occupent des fonctions politiques importantes [19]. Yaqubi adopte une attitude réticente vis-à-vis de l’implication de l’Iran dans les problèmes de la communauté chiite irakienne, ce qui contribue à la croissance de son prestige de clerc nationaliste. Fadhila est aussi le parti qui proclame une vision régionaliste, revendiquant une autonomie accrue pour la province de Bassora et celles de Maysan et Dhi Qar, pour valoriser les ressources pétrolières, ce qui contribuerait à limiter l’influence économique et géopolitique de l’Iran dans la région. Proche du mouvement sadriste créé par Muhammad Sadiq al-Sadr, Fadhila a soutenu Muqtada sans pourtant s’identifier intégralement à ses projets, et leurs intérêts politiques comme leurs actions sur le terrain arrivent même à être divergents. Ainsi, à Bassora, les milices sadristes se trouvent en concurrence avec celles de Fadhila et leur rivalité dégénère parfois violemment.

Pourtant, le grand rival reste l’ASRII (et les brigades Badr), accusée de promouvoir les intérêts iraniens en Irak au détriment des intérêts nationaux. Jusqu’aux élections de janvier 2005, grâce à son influence politique au niveau du gouvernement central, aux bons rapports entretenus avec les grands clercs de l’Hawza, et à la création efficace de réseaux de clients dans le territoire qui servent leurs intérêts, les membres de l’ASRII ont réussi à occuper plusieurs postes de gouverneurs de province et à contrôler une bonne partie des postes de police dans le Sud chiite.

Le mahdisme, entre mystique et géopolitique

Enfin, il faut évoquer deux mouvements, apparus autour de Mahmud al-Hasani et Ahmad al-Hasan, qui contribuent encore plus à la fragmentation de la communauté chiite irakienne. Mahmud al-Hasani (né en 1960) a été lui aussi un des disciples de Muhammad Sadiq al-Sadr. Il manifeste ouvertement une attitude antiaméricaine, anti-iranienne et une opposition souvent affirmée à la hiérarchie officielle des villes saintes irakiennes et iraniennes, c’est-à-dire à Al-Sistani et Al-Khamenei, affirmant la suprématie de son éminence personnelle. Al-Hasani est un exemple de la nouvelle classe des membres du clergé qui, sans nier les fondements doctrinaires et sociologiques du chiisme osulite, arrivent à courtcircuiter les trajets classiques de l’ascension vers le rang de marja’ et à se présenter eux-mêmes comme guides. Ayant son noyau à Karbala, là où il fondera sa propre Hawza - académie théologique -, le mouvement d’Al-Hasani est formé par des cellules d’adhérents nombreux surtout dans les trois gouvernorats du Sud ; en 2005 il annonce la formation de sa propre milice, l’Armée de Husayn. Le potentiel déstabilisateur de son mouvement a été visible surtout pendant les affrontements du mois d’août 2006, à Karbala, contre les forces de sécurité chargées de la protection du mausolée, traditionnellement placé sous l’autorité de Sistani, parce que Al-Hasani voulait qu’on lui reconnaisse plusieurs privilèges, dont le droit de faire le prêche du vendredi [20]. Les relations entretenues par Al-Hasani avec les autres groupements et partis chiites sont tendues, y compris avec Muqtada, avec lequel il avait au tout début de bonnes relations. Mais, en dépit de son nationalisme agressif, ses prises de position publiques contre ce qu’il considère être une domination de l’Irak par des éléments (partis, membres du clergé) se trouvant dans la mouvance iranienne (au mois de juin de l’année 2006 ses supporters ont protesté contre le consulat iranien de Bassora) et ses positions contre le fédéralisme, son poids est assez restreint dans la population.

CARTE - PARTIS ET MILICES CHIITES

La dimension messianique constitue un aspect fondamental de tous les courants sadristes, et elle dépasse le caractère de la seule attitude religieuse en devenant une motivation pour différents activismes sociaux qui peuvent mener à de véritables dérives radicales. Ayant, en général, leur origine dans le renouveau par Sadr II de la tradition millénariste chiite, les thèmes principaux y sont centrés sur l’idée du retour de l’Imam caché et de la préparation que ses adeptes doivent faire pour l’instauration de Son royaume. L’intérêt géopolitique principal réside dans le fait que, pour une partie des idéologues du courant mahdiste, l’Irak est appelé à devenir le lieu privilégié de ce retour apocalyptique : « L’Irak doit être la capitale de l’État du Mahdi » disait Al-Yaqubi [21]. Muqtada a souvent renvoyé dans ses sermons à l’« établissement d’un État mahdiste » et les actions de Jaish al-Mahdi sont interprétées comme un prélude à l’installation de la gouvernance de l’Imam caché.

Si tous ces personnages-ci agissent dans les limites du chiisme, Ahmad al-Hasan, au contraire, adopte des positions hétérodoxes par rapport à la tradition osulite. Le mouvement qu’il a fondé est par excellence de connotation mahdiste et il finit par se voir comme le prédécesseur du Mahdi. Comme chez Mahmud al-Hasani, la proximité des temps apocalyptiques suppose un affrontement à l’échelle planétaire où les fidèles musulmans - chiites et également sunnites - doivent affronter l’offensive de l’Antéchrist, illustré aussi bien par les États-Unis que par le haut clergé chiite. Le groupement d’Ahmad al-Hasan, nommé « Les Partisans de l’Imam Mahdi » (Ansâr al-Imâm al-Mahdî), apparaît dès 2003 mais exerce une influence limitée, en attirant de petits groupes d’adeptes, en partie des membres du clergé de rang mineur à Bassora, Maysan et Dhi Qar, des régions où ils seront entraînés dans diverses disputes et affrontements avec les membres sadristes. En août 2005, des adeptes de Hasan organiseront une démonstration dans les rues de Bassora, en affirmant ainsi leur fidélité et en exprimant publiquement leur certitude dans le caractère éminent de leur maître, celui-ci étant considéré comme doué d’une « autorité divine » directe qui transcende l’autorité de la hiérarchie cléricale officielle des Villes saintes. Le potentiel violent des mouvements mahdistes n’est pas toujours évident mais, par leur dérive doctrinaire et même sociale, ils engendrent les suspicions des autorités officielles, politiques ou religieuses [22]. Une certaine ambiguïté entoure encore les affrontements datant des 2829 janvier 2007, qui ont mis face à face les forces de police irakiennes soutenues par l’armée américaine et un groupe d’adeptes d’Ahmad al-Hasan installés à Zarga, près de Nadjaf, qui se sont terminés par la mort de quelques centaines de ces derniers. La raison officielle de la répression était une possible insurrection du mouvement Al-Hasan à Nadjaf, au cours de laquelle les membres du haut clergé, dont al-Sistani, devaient être tués [23].

L’émergence des groupements et des idéologies de facture mahdiste surtout au sud de l’Irak trouve ses origines dans une longue tradition régionale, la zone étant dès le Moyen Âge un espace caractérisé par l’apparition de toute une série de schismes et d’hétérodoxies à l’intérieur du chiisme [Tucker, 2008]. Mais, si les centres saints de Nadjaf, Karbala, Hilla ont fini par développer un chiisme fortement institutionnalisé et dogmatisé, centré sur les membres du haut clergé qui se trouvent au centre d’un immense réseau de rapports sociaux et économiques avec la masse des fidèles, en revanche le sud de l’Irak a continué de préserver une certaine prédisposition envers un chiisme populaire qui laisse place à différentes formes d’interprétation de la tradition chiite.

La turbulente vie politique de Bassora

La chute du régime Saddam et l’installation d’un système politique basé sur le principe de la représentativité populaire ont offert pour la première fois à l’Irak, depuis 1958, l’occasion d’accéder à une gouvernance de type démocratique. Aux élections de janvier 2005, le fait que la majorité des partis et des mouvements chiites ont choisi de se présenter sur une liste commune a empêché de mettre en évidence le pourcentage qu’avait chacun dans l’électorat. Ils ont aussi misé sur le fait de mettre au premier plan l’identité chiite et de placer Sistani comme étendard mobilisateur afin d’accroître la participation de la population chiite, comptant sur la supériorité démographique de la communauté chiite pour assurer leur succès politique. Les conseils de chaque gouvernorat comptent 41 membres, sauf à Bagdad où il en compte 51. La répartition des sièges pour chaque parti tient aux rapports de force locaux où le poids politique, financier et militaire de chaque parti compte. Les élections ont confirmé que l’ASRII est le parti le plus important, gagnant une majorité de sièges dans huit des neuf provinces chiites [24]. Sauf à Bassora, où il n’a obtenu que la moitié des sièges, étant en forte concurrence avec le parti sadriste régionaliste de Bassora, Fadhila. La répartition a été la suivante : 20 pour al-Ittilaf al-Bassora al-Islamiyya (La Coalition pour un Bassora islamique - formée de l’ASRII, associée aux autres partis de la « Maison à cinq coins »), 13 pour Fadhila, 2 pour Tajamu Iraq al-Mustaqbal (L’Association pour l’Irak du futur), parti se trouvant sous la coordination spirituelle de Muhammad Bahr al-Ulum, 3 pour al-Dawa Tanzim al-Irak et 3 pour le parti séculariste Wifaq, conduit par Iyad Allawi [Knights, William, 2007].

En février 2005, suite aux discussions en coulisses entre Fadhila et les autres groupes chiites du Conseil, le candidat de l’ASRII au poste de gouverneur est battu par celui proposé par Fadhila, Muhammad al-Waeli, qui est un politicien de Bassora dont l’influence est due au fait que lui et son parti contrôlent Oil Protection Force, une agence de sécurité qui s’occupe de la protection des installations pétrolières de la province de Bassora et qui compte plus de 15 000 personnes. Waeli en profite pour détourner une partie des produits pétroliers au profit de son propre réseau de clients [25].

En même temps, le vol à grande échelle de pétrole est vu par les adeptes comme une réponse au manque de soutien financier de la province par le gouvernement de Bagdad. En effet, du fait de l’hostilité entre l’ASRII et Fadhila, les ressources budgétaires gouvernementales allouées à Bassora sont inférieures aux besoins de la province. En 2005, le gouvernorat n’a même reçu aucune allocation budgétaire, sous le prétexte qu’il disposait de ses propres ressources. La contrebande semiofficielle de pétrole soutenue par le gouverneur finit par être considérée comme une source légitime de financement de la province, même si la plus grande partie des ressources profite aux seuls clients de Waeli [A. Wahab, 2006]. Soutenu par plus des deux tiers du conseil gouvernemental provincial et en se basant sur son influence économique forte au niveau local, Waeli essaie en permanence de limiter l’intrusion du pouvoir central dans sa manière de gouverner, en préconisant son propre projet de régionalisation limité à la seule province de Bassora. Entre octobre 2005 et mai 2006, le conseil provincial a même rompu la coopération avec les forces britanniques de Bassora contre lesquelles il déclenche une forte propagande pour exiger leur départ, en les considérant comme une « présence déstabilisatrice » [26]. Seulement, à partir de mai, le conseil reprend la collaboration, mais les rapports sont plutôt formels. Après la période relativement calme de 2005, vers la fin de l’année on reprend les attaques contre les troupes britanniques, surtout par l’utilisation de bombes placées au bord des chaussées et actionnées au moment du passage des patrouilles militaires. Si en 2003 la moyenne de ces attentats à la bombe était de 6 par mois, en mars 2006 elle s’élève à 22. Le nombre des actions de patrouille dans la ville devient alors de plus en plus réduit, mais les bases militaires sont aussitôt attaquées par les milices chiites, avec des mortiers et des roquettes. Les principaux combattants proviennent de Jaish al-Mahdi, la milice de Muqtada Sadr, mais aussi des membres de Thar Allah, milice de Sayed Youssef al-Musawi, ou de nombreux nouveaux groupements criminels.

À la suite des élections de décembre de 2005, grâce à l’opposition ferme de l’ASRII, dans le cadre des longues négociations concernant la composition du nouveau gouvernement, Fadhila perd une partie de son influence politique à Bagdad. Dans le nouveau Parlement, le parti perd 15 sièges et, en mai 2006, avec l’installation du gouvernement d’Al-Maliki, le seul ministre Fadhila, qui occupait depuis janvier 2005 le poste stratégique du ministère du Pétrole, est remplacé par Hussein al-Shahristani, savant atomiste, membre indépendant de l’Alliance irakienne unifiée, entretenant des relations très proches avec Sistani. En riposte à ce boycott politique de la part des partenaires de l’AIU, Fadhila en arrive maintenant à menacer de bloquer l’exportation du pétrole [27]. La moindre importance de Bagdad dans les jeux politiques a conduit à centrer les intérêts du parti sur le contrôle du milieu politique et économique de Bassora, le seul territoire où il exerce une influence réelle.

Une rivalité interchiite généralisée

Après 2005 la violence se généralise à Bassora, où les milices de moindre importance profitent de l’insécurité et de la faible efficacité des forces de l’ordre pour se livrer à la contrebande, aux séquestrations et au racket - en fait toute la gamme d’actions qui relèvent du banditisme et du crime organisé. Leur aire d’action se limite le plus souvent à des portions de quartiers, plus rarement à des quartiers entiers, et elles s’opposent inévitablement aux intérêts des milices sadristes les plus puissantes, Badr, Thar Allah et Fadhila, ce qui mène à des combats et des rixes comparables à ceux des clans mafieux des grandes villes américaines pendant l’entre-deux-guerres. La croissance du taux des crimes est continue depuis l’automne 2005 : on enregistre officiellement 15 victimes en novembre 2005, 30 en février 2006 et désormais il dépasse de façon constante les 100 personnes par mois. Les victimes proviennent non seulement des groupes rivaux, mais sont en grande partie des personnes publiques ou des leaders désavoués à cause de leur position idéologique, politique, ethnique ou confessionnelle. Beaucoup proviennent des milieux laïcs et professionnels : des professeurs, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des communistes, mais aussi des hommes politiques, des membres de l’administration ou des chefs tribaux [28]. La rivalité entre les tribus et les partis islamistes est motivée surtout par le contrôle des terrains pétrolifères situés dans les régions habitées par les populations tribales, mais aussi par la compétition pour le pouvoir politique, les leaders islamistes essayant de contrer par la violence les chefs tribaux aux velléités politiques ou ceux qui exercent une influence politique importante et dont le poids électoral est considéré comme pouvant être dangereux pour les partis islamistes. On comptait, à la fin du mois d’août 2006 25 chefs tribaux assassinés. Les quartiers contrôlés par les milices de l’ASRII et de Fadhila ont été attaqués en retour en signe de vengeance. On évoque plusieurs attentats des milices tribales contre Al-Waeli [29]. Cependant, dans un système social où le chef tribal concentre le pouvoir, l’assassinat d’importants dirigeants, tels que ceux du groupe Bani Asad ou Al-Garamsha, a entraîné une perte d’influence de ces groupes. Beaucoup de leurs membres, surtout ceux de Bassora, préfèrent quitter les structures militantes de la tribu pour se joindre aux milices chiites qui leur offrent de meilleurs revenus et une protection renforcée. Ce regroupement est l’une des caractéristiques non seulement de Bassora mais aussi d’autres localités, chiites ou sunnites, et il se caractérise par la conversion des anciennes assabiya sur une base tribale en une assabiya de type moderne structurée autour des partis ou des mouvements islamistes. La doctrine confère le sentiment d’appartenance à un idéal commun, et la compétition pour le pouvoir politique et économique ou pour le contrôle du territoire - de la simple rue de quartier jusqu’au territoire national - remplace des anciennes rivalités tribales et les razzias dans les territoires rivaux par la domination ou le racket.

Si jusqu’à la fin de 2005 les violences sectaires étaient assez modérées à Bassora en comparaison de Bagdad, étant commises plutôt au nom du processus de déba’thification, l’attaque de février de 2006 contre le mausolée de Samarra a encouragé les attaques contre des sunnites, ici en minorité. Dans la ville de Bassora, où 15 % de la population est sunnite, en réaction à la destruction de la mosquée ont eu lieu immédiatement après des assassinats contre les leaders et des clercs sunnites, l’incendie de quelques mosquées et des pressions contre la population sunnite pour lui faire quitter la ville. Selon l’Association des clercs musulmans, qui réunit les grands clercs sunnites de l’Irak, plus de 1 200 familles ont été obligées de quitter Bassora à la suite de menaces venues de membres des milices chiites [30]. Le gouverneur Al-Waeli profite du nouveau conflit intersectaire pour critiquer encore plus ses rivaux de l’ASRII et de Thar Allah, en demandant aux autorités de Bagdad de lui permettre de changer plusieurs responsables des services de sécurité, accusés d’être trop fidèles aux autorités religieuses.

L’identité islamiste affichée par les partis et les groupes chiites de Bassora sert de repère identitaire et de mobilisation, et n’est pas forcément la marque d’une adhésion aux programmes d’islamisation de la société et du système politique élaborés jadis par des théoriciens chiites historiques tel Muhammad Baqir al-Sadr. À part l’application, le plus souvent par la force, de quelques règles de conduite et de tenue, les convictions islamiques des leaders du territoire ne sont pas très élaborées. Ce qui compte pour eux c’est plutôt la prise du pouvoir, soit politique soit économique (entre autres le pouvoir de contrôler certaines activités, surtout illégales et très rentables). Dans la zone Sud, l’exploitation des ressources pétrolières est un enjeu majeur dont le contrôle motive les mouvements et les milices chiites. Leur préoccupation n’est pas la mise en place d’un État de droit, mais l’intérêt immédiat de chaque groupe. La fidélité à la milice ou envers le parti ou le clan transcende le plus souvent le respect des règles et des institutions publiques. La spécificité du régime autoritaire imposé par le régime ba’thiste a joué un rôle important pour la codification de ce type de comportement. La majorité de la population chiite du Sud ne respectait pas les institutions de l’État, manifestant de la réticence envers leur application. La disparition d’un pouvoir central perçu comme contraignant a laissé place à une explosion d’individualisme qui fait que les personnes enclines à l’action arrivent à se mobiliser autour des leaders locaux, intégrés eux-mêmes parfois dans des unités plus importantes, tels l’ASRII ou le mouvement sadriste.

La situation de Bassora est représentative du partage du pouvoir entre les groupes chiites. Ainsi Fadhila domine l’important secteur de la sécurité pétrolière, le Hezbollah irakien exerce un certain contrôle sur la police de frontière - élément central dans la vaste industrie de la contrebande pétrolière vers l’Iran -, l’ASRII a accaparé les services d’informations, enfin les forces de police sont constituées par des fidèles de tous les mouvements chiites, principalement des sympathisants sadristes. Lors d’une interview Hussein al-Saad, le chef de la police de Bassora, nommé justement pour sa position apolitique par Iyad Allawi en décembre 2005, déclarait qu’il faisait confiance à seulement un quart de ses officiers et que plus de la moitié étaient plus loyaux à l’une des milices chiites qu’envers l’État [Knights, William, 2007]. En fait, après 2005, les pressions américaines sur le gouvernement irakien pour que celui-ci supprime les milices ont accéléré l’intégration de celles-ci dans la police d’État. Profitant de la politique de recrutement massif pour la nouvelle police et les services de sécurité, chaque parti place ses fidèles dans des postes parfaitement légaux et qui leur apportent en plus un financement de la part de l’État. En profitant à présent du sentiment d’impunité offert par la fonction publique, les membres des milices embauchés dans les services de police et de sécurité - ont continué à une échelle encore plus large leurs opérations d’élimination de leurs adversaires, le plus souvent des groupes rivaux à Bassora, ceux-ci étant Fadhila d’un côté et l’ASRII avec Thar Allah de l’autre. Selon un leader des milices du parti Thar Allah, en 2006, 80 % des assassinats ont été commis par des individus en uniforme de police, manipulant des armes de police et utilisant des voitures de police [31].

Les trois ports du gouvernorat sont partagés à leur tour entre les diverses milices : le port d’Abou Flus est contrôlé par les sadristes, le port Al-Khur est placé sous l’influence de l’ASRII, Umm Qasr est dominé par Fadhila. Chacune d’entre elles se prévaut de son influence pour faire notamment de la contrebande de pétrole, mais aussi pour introduire en Irak divers produits provenant des pays du Golfe, surtout des voitures. En fait, les principales lignes de concurrence effective entre les mouvements chiites de Bassora sont au nombre de trois : le trafic de pétrole, le contrôle des forces de sécurité et l’infiltration la plus efficace possible des postes institutionnels, ce qui leur permet l’accès et le détournement de fonds publics en faveur du groupe.

La contrebande pétrolière représente une source immense de profits, ce qui explique leur rivalité afin d’en accaparer le maximum. Seulement pour les deux derniers semestres de 2004, un rapport de KMPG International montre que la différence entre le chiffre de production et celui des ventes officielles est de presque 70 millions de dollars [32]. On estimait, en 2005, que plus de 2 millions de litres de pétrole étaient détournés par jour à travers les frontières du Sud et du Nord et que par an la quantité perdue était de 60 millions de barils. La perte financière totale de l’État a été évaluée de 2,5 à 4 milliards de dollars pour 2005 [Wahab, 2006]. En avril 2005, Assim Jihad, le porte-parole du ministère du Pétrole, reconnaissait que 100 000 des 1,6 million de barils pour l’export, soit 5 millions de dollars, étaient perdus chaque jour dans la province de Bassora en raison de la contrebande [33]. Certes, toute la contrebande pétrolière ne passe pas par les régions du Sud, une partie très importante est détournée par les milices et les partis kurdes au nord du pays. Néanmoins, la province de Bassora présente de nombreux avantages. Outre le fait que c’est la principale région pétrolière, il y a aussi sa proximité avec la frontière de l’Iran qui est très perméable à cause du trafic intense sur le canal du Chatt-al-Arab et de la corruption de la police de frontière tant iranienne qu’irakienne, son ouverture sur la mer, les zones portuaires étant un espace propice au détournement de quantités considérables de pétrole provenant des réservoirs pétroliers, et enfin le milieu politique et les forces de sécurité de la province qui s’impliquent dans le trafic d’où ils tirent des fonds indispensables à l’entretien de leur réseaux de clientèle et de leurs milices. C’est pourquoi chaque groupe chiite semble être lié à une infrastructure de type mafieux, constituée de contrebandiers, d’intermédiaires, de complices au ministère du Pétrole et dans les forces de police douanières [34]. Contrôlant des forces de sécurité chargées de la protection des objectifs pétroliers, Fadhila détient les plus grandes opportunités de récupérer de grosses quantités de pétrole, souvent à même la source. Selon l’International Crisis Group, les milices de Fadhila, afin de placer leurs membres aux postes de direction des institutions pétrolières de Bassora, auraient tué plusieurs de leurs dirigeants [35] Les contrebandiers venant des tribus qui peuplent la zone traversée par les pipe-lines vers le nord du pays percent des trous et installent un robinet. Enfin chaque groupe qui contrôle un port y développe son propre réseau de contrebande.

CARTE - PÉTROLE ET PROJETS FÉDÉRALISTES

Pétrole et fédéralisme : les enjeux économiques et géopolitiques des projets régionalistes chiites

L’idée d’une particularité des trois provinces du Sud, surtout entre Bassora et le reste du territoire chiite ou irakien, tend à prendre la forme d’une autonomie politique ou économique. Au début de l’histoire moderne de l’Irak, Bassora a été le centre d’un mouvement séparatiste, développé dans les années 1920, mais basé sur des facteurs économiques plus que religieux. La majorité de ses membres provenaient en fait de l’élite commerciale sunnite, chrétienne et juive et avaient le projet d’une république cosmopolite, centrée sur l’idée de valorisation de la position médiane de la zone de Bassora entre les pays du Golfe et l’Iran et de ses facilités portuaires. À cette époque les adeptes de l’option séparatiste for maient une minorité qui n’a pas résisté au projet national unitaire sur lequel s’était appuyé la monarchie hachémite. Les leaders chiites eux-mêmes, croyants ou laïcs, provenant tant de Bassora que des Villes saintes, ont été peu sensibles à l’idée d’une autonomie de la région chiite et leur attachement envers le concept d’État irakien élargi est même antérieur à la création de l’Irak en 1920 par les troupes britanniques [36]. Dans toute la période suivante, et surtout dans la période du régime ba’thiste, toute velléité d’autonomie régionale a été un sujet interdit dans les discours irakiens officiels. L’obsession des leaders de Bagdad était justement de forger une identité centrée sur les valeurs d’appartenance à une nation unique et à un territoire indivisible.

Mais, après 2003, quand les projets fédéralistes et mêmes séparatistes deviennent une composante importante des programmes de plusieurs partis chiites, sécularistes ou islamistes, la situation change. L’idée de partage de l’Irak en plusieurs régions n’est pas un projet développé uniquement par des leaders chiites. En effet, le projet fédéraliste était le thème central des partis et des mouvements kurdes irakiens. Après 2003, afin de satisfaire leurs attentes et afin d’épargner à l’Irak une autre contestation communautaire aux conséquences encore plus graves pour l’existence de l’État irakien, le principe d’un État fédéral a été inscrit dans la Constitution soumise au référendum du mois de novembre 2005. Le 11 octobre 2006, le Parlement irakien vote la loi sur le fédéralisme, mais son application en pratique rencontre l’opposition de plusieurs forces politiques qui empêche l’application des différents projets fédéralistes [37]. Le partage de l’Irak en plusieurs régions semble une option souhaitée par les États-Unis et il est considéré comme pouvant être une solution aux violences sectaires empêchant toute sécurisation de la société irakienne. Selon un plan élaboré par l’institut Baker, le partage du pays en plusieurs régions serait accompagné de la prise en charge des aspects liés à la sécurité par leurs forces de police et, implicitement, du déchargement progressif des troupes américaines. Dans ce système, l’autorité centrale gardera la gestion des Affaires étrangères, la protection des frontières et la répartition des ressources pétrolières. Des projets sur la transformation de l’Irak en un État fédéral ou même sur son partage ont été publiés par des stratèges américains il y a longtemps. Déjà, en novembre 2003, Leslie Gelb, président émérite du Council of Foreign Relations, préconisait la création des trois mini-États en Irak, suivant la configuration des répartitions territoriales des trois grandes communautés. Comme solution aux éventuelles tensions sunnites-chiites dans les zones mixtes du centre du pays intégrées dans un État sunnite, il proposait le déplacement des chiites vers le Sud sous la protection des forces américaines [38].

Le regard favorable sur le fédéralisme des élites religieuses et politiques et aussi de la population chiite de Bassora a plusieurs causes. Premièrement, il s’agit d’une identité particulière venue de sa propre histoire et de ses spécificités socioéconomiques : l’ouverture vers la mer, la possession des gisements et de l’industrie pétroliers, le développement d’une riche agriculture basée surtout sur la culture des dattiers et des céréales. Les leaders religieux et politiques et l’ensemble de la population considèrent tout cela comme des raisons suffisantes pour la création même d’un mini-État, séparé du reste de l’Irak qui profiterait de ses ressources naturelles. Cette conviction provient du fait que, pendant des décennies, malgré toutes ses richesses, la province de Bassora a été volontairement ignorée par les leaders politiques de Bagdad. Les ressentiments sont unanimes tant envers l’exrégime ba’thiste qu’envers la nouvelle élite d’après 2003, accusée de manifester une aversion et un désintéressement pour la région Sud alors que ce sont précisément les trois provinces pétrolifères du Sud qui apportent les plus importants revenus au budget de l’État. La période Saddam est perçue comme une période où l’intérêt de l’État centralisé était exclusivement celui d’exploiter le mieux possible les ressources de la province sans en faire bénéficier la population et les institutions. Après la révolte de 1991 notamment, les autorités centrales ont beaucoup ignoré l’infrastructure et les services publics, d’une part, comme une réplique punitive de l’insurrection chiite et, d’autre part, comme un effet de la baisse des finances publiques due à l’embargo international contre l’Irak, tout cela entraînant le déclin du cadre urbain de la ville et la hausse du nombre des personnes pauvres. Afin d’empêcher les protestations populaires, ici comme dans le reste du pays, les services de sécurité et de renseignements essayaient de contrôler au plus près les habitants, bureaucratisant à l’extrême toute activité publique, ce qui alimentait en retour la suspicion envers les institutions publiques officielles. D’ailleurs, la majorité des gouverneurs de province, des chefs de police ou des garnisons de Bassora ne provenaient pas de la ville ou de la région, mais étaient recrutés dans d’autres régions du pays.

Après la chute du régime de Saddam, les habitants et les leaders politiques de Bassora continuèrent de se sentir défavorisés par le nouveau pouvoir central. En février 2004, le gouverneur de Bassora, Waed Abdul Latif, a rendu public un projet d’autonomie élargie de la province afin que le gouvernorat valorise la plupart de ses ressources dans son propre intérêt, y compris sa position géographique, afin de se développer dans une région prospère sur le modèle de Dubai [39]. En mars 2004, dans le nouveau projet provisoire de Constitution (Transitional Administrative Law), on prévoit la possibilité qu’en Irak soient créées des entités fédérales composées au maximum de trois gouvernorats [40]. Aussitôt, plusieurs leaders tribaux de Maysan et Dhi Qar ont manifesté publiquement leur intention de proclamer une fédération entre les deux provinces et Bassora, en créant une « région sudique » (Iqlim al-Janub) [41]. Le projet est resté purement théorique, tout comme celui de Latif, mais à Bassora ces projets ont été bien reçus. Après 2004, l’idée de l’autonomie gagne de plus en plus de terrain, étant adoptée sous différentes formes par la majorité des acteurs politiques, à l’exception des sadristes. Dès le mois d’août 2004, le nouveau gouverneur Hassan al-Rashid, provenant de l’ASRII, réactualise le schéma du positionnement de la province comme pivot économique d’un Irak fédéral, selon le modèle des Émirats Arabes Unis, plaidant en même temps pour un changement du quota de redistribution des revenus pétroliers pour l’aligner sur celui de la péninsule Arabique, dans laquelle Abou Dhabi - pris comme modèle pour Bassora - reverse seulement la moitié de sa production au gouvernement fédéral. À la fin de l’année 2004, de nouveaux partis apparaissent, avec une base principalement régionale, qui militent pour l’agenda fédéraliste avec la création de l’Assemblée fédérale irakienne et du Conseil pour la région sudique. L’ASRII présente un projet de fédération CentreSud. Et le parti Da’wa Tanzim al-Irak, proche de l’ASRII, manifeste lui aussi sa position profédéraliste.

Les différentes visions du projet fédéral deviennent plus explicites avec les élections de 2005 qui ont installé au pouvoir les partis islamistes chiites [42]. Fadhila, dont l’espace d’influence est restreint à la zone de Bassora, est la principale promotrice du projet d’une fédération des trois gouvernorats du Sud, ne reposant pas forcément sur l’identité chiite mais plutôt sur la perspective du développement économique. En revanche l’ASRII devient adepte d’une fédération qui comprendrait les neuf provinces chiites, qui formeraient une région unitaire qui profiterait de l’intégralité des ressources pétrolières des trois provinces du Sud. Le projet nommé « La région du Centre et du Sud » (Iqlim al-Wasat wa al-Janub) du parti dirigé par Hakim est lié à la représentation géopolitique de la situation de la communauté chiite en Irak, ou même à la représentation de l’espace chiite dans son ensemble. Contrairement au projet de « région sudique » centré sur les trois provinces pétrolières, la vision de l’ASRII est fondée sur l’idée d’une ouverture vers les autres régions chiites, anticipant d’une certaine manière le modèle théorique élaboré par les observateurs occidentaux lié à la possibilité de créer un « croissant chiite » dans la région du Golfe. Le stratège principal de cette vision géopolitique panchiite a été Muhammad Baqir al-Hakim ; il élabore un projet d’une potentielle union fédérale entre les territoires chiites, principalement entre l’Iran et l’Irak, et placée sous une gouvernance de type islamique, éventuellement sous l’autorité ultime d’un seul Guide suprême [43]. La mort d’Al-Hakim, la complexité du problème irakien après 2003, les contraintes permanentes imposées par les États-Unis aux responsables politiques irakiens et surtout la tension croissante entre Washington et Téhéran ont fait que la vision de l’ancien leader de l’ASRII reste plutôt une utopie géopolitique. Toutefois, le parti et son nouveau chef, Abd al-Aziz al-Hakim, continueront de soutenir la création d’une région basée sur l’identité confessionnelle. L’accroissement du conflit entre les communautés sunnite et chiite, ou au moins les tentatives des groupements radicaux d’aller à la guerre civile, sert de prétexte à l’ASRII et à d’autres groupements chiites pour demander l’instauration effective de cette entité fédérale qui permettra la protection efficace des chiites face aux attentats et aux violences sunnites. La destruction du mausolée de Samarra, en février 2006, a accéléré l’activisme fédéraliste de l’ASRII, mais il semble que Téhéran n’était pas étranger à la relance du projet : la propagande accrue pour sa promotion suit justement la visite d’Abd al-Aziz al-Hakim en Iran au mois d’août 2006 [44].

Au mois d’octobre 2006, l’ASRII réussit pourtant à faire passer la loi sur le fédéralisme au Parlement. La loi a été votée à une courte majorité (141 des 275 parlementaires) : du côté des adeptes d’un Irak fédéralisé, les partis kurdes et ASRII, une grande partie de Wilaq - le parti d’Iyad Allawi - mais aussi de Tanzim al-Da’wa - reconverti au profédéralisme - et plusieurs parlementaires indépendants ou provenant de partis moins importants tels que l’Alliance irakienne unifiée ; du côté des opposants, toutes les forces sunnites, sécularistes ou islamistes, ainsi que Fadhila, les représentants de la minorité turkmène (pour laquelle l’intégration dans un État kurde accélérera le procès de discrimination auquel ils sont soumis dans les régions kurdes) et les représentants politiques du courant sadriste [45]. Le mouvement sadriste s’oppose à toute idée d’autonomie ou de régionalisation territoriale du pays et plaide, fidèle à sa dimension nationaliste, pour la préservation d’un Irak unitaire et indivisible. Font pourtant exception les sadristes de la région de Maysan, mieux ancrés dans une identité locale et qui ont toujours vu d’un regard suspicieux le pouvoir central de Bagdad. Pour certains de ces leaders, la possibilité d’intégration dans une structure étatiste plus restreinte et plus généreuse dans la distribution de fonds est vue comme un possible remède à l’extrême pauvreté de la majorité de la population de la province. Enfin, des partis ou des groupements laïcs craignent que la formation d’un mini-État chiite ne mène à une plus grande augmentation de l’influence des mouvements islamistes, avec des conséquences sur la vie publique de la population, soumise de plus en plus, et surtout par la force, à des normes de comportement islamique qui aboutiront, en fin de compte, à l’instauration d’une théocratie selon le modèle iranien. C’est d’ailleurs à cause de l’immense controverse qu’il a provoquée et des effets imprévisibles de son application immédiate, qu’on a ajouté dans le projet de loi un moratoire de dix-huit mois pour le démarrage de sa mise en place [46]. Toutefois, la réaction sunnite a été diverse. Pour les leaders politiques comme Adnan alDulaimi, le dirigeant du Front irakien de la concorde, la loi fédérale est considérée comme le « début du plan pour diviser l’Irak [47] ». Mais une petite partie des groupes et représentants sunnites, surtout des insurgés, manifeste de l’intérêt pour l’idée d’une région autonome dans l’ouest du pays. Le 19 octobre 2006, le Moujahedin Shura Council, une organisation qui abrite plusieurs groupes insurgés, annonce la création de l’État islamique en Irak comme étant une région autonome, évidemment sans aucune autorité législative. Même si cette proclamation a trouvé un écho parmi les sympathisants de la résistance sunnite, surtout chez Ramadi, Hadhita, Haqlaniyah, elle n’est pas acceptée par la grande majorité des leaders sunnites, qui sont opposés à tout projet séparatiste ou régionaliste [48].

À Bassora, la controverse sur les différents projets fédéraux s’ajoute aux autres facteurs qui alimentent la rivalité entre l’ASRII et Fadhila. Le conflit reprend les anciennes disputes qui opposaient, à l’intérieur du parti historique Da’wa, ceux ayant un regard nationaliste et ceux centrés sur la valorisation d’une spécificité locale. Il représente également une reprise de la rivalité entre le chiisme centré autour des Villes saintes, faisant d’elles le noyau de toute résurrection communautaire et politique et qui est resté, jusqu’à sa mort, le projet de Muhammad Baqir al-Hakim, et un chiisme du « Sud », moins motivé idéologiquement qu’économiquement et géopolitiquement. Dans la mesure où ses capacités de mobilisation en faveur de son projet fédéraliste sont nettement inférieures à celles de l’ASRII (ASII), la position de Fadhila devient extrêmement fragile. Après la perte, en mai 2006, du poste de ministre du Pétrole et suite aux mauvaises relations avec Nuri al-Maliki, le parti de l’ayatollah Yaqubi ne dispose plus d’une grande influence dans les milieux politiques de Bagdad. En revanche, ASRII s’impose d’une manière constante comme le plus important parti du pays et, par l’intermédiaire des fonds gouvernementaux et en promouvant ses membres et ses clients au niveau des institutions territoriales, il arrive à accroître son influence aussi au niveau local.

Le soutien politique d’Al-Waeli, au niveau du conseil de la province, est fondé sur une alliance conjoncturelle de Fadhila avec le parti Waqif d’Iyad Allawi, avec le Hezbollah irakien, qui a quitté le camp d’ASRII en 2005, et avec Harakat al-Da’wa. L’alignement de ce dernier sur Fadhila, malgré les liaisons étroites de l’ex-leader Izz al-Din Salim avec la famille Hakim, est dû en partie à la promotion commune du même projet fédéraliste centré sur Bassora. Les loyautés locales, motivées surtout par les intérêts économiques et politiques, sont actuellement primordiales : tout comme Fadhila, Harakat al-Da’wa, même s’il aspire à une dimension à l’échelle de toute la communauté chiite irakienne, n’exerce son influence que sur Bassora, et dans une mesure encore plus réduite à Maysan et Dhi Qar. Pour ces partis, la préservation des privilèges acquis est vitale pour faire face au parti-géant ASRII, soutenue pour l’instant par les autres groupements de Bayt al-Khumasi, ainsi que par Thar Allah et Shahid al-Mahrab. L’opposition entre Fadhila et les sadristes de Bassora, malgré le fait que tous deux se reven diquent de la tradition de Muhammad Sadiq Sadr et qu’ils ont collaboré au niveau politique central, résulte des rapports de pouvoir dans la ville. Le projet d’Al-Waeli sur la « région Sud » et l’insistance avec laquelle il essaie d’attirer de son coté les leaders politiques tribaux et les milieux d’affaires de la région désirant partager la manne pétrolière, sont violemment contestés par Muqtada et les autres leaders sadristes. Par ailleurs, les milices sadristes et les leaders du mouvement de Bassora sont fâchés de l’influence que Fadhila exerce dans le domaine pétrolier et par le fait que leurs rivaux ont un accès à la prolifique industrie de la contrebande pétrolière [49] grâce au contrôle de Southern Oil Force. L’influence sadriste à Bassora, après un recul dans les années 2004-2005, a augmenté constamment avec l’implication de Muqtada dans les jeux politiques et avec l’accentuation de la désillusion des populations défavorisées de la ville. Le contrôle par sa milice Jaish al-Mahdi du quartier Hayaniya devient quasiment total, comme à Sadr City à Bagdad, mais elle exerce son influence dans d’autres zones comme le port, les terminaux pétroliers, les mosquées de la ville, même dans l’université, où ses membres obligent les étudiants et les enseignants à adopter une tenue islamique. On considère aujourd’hui que la milice sadriste de Bassora compte environ 17 000 membres, divisés en 40 unités militaires. Le leader actuel, Muntasir al-Maliki, a été installé après l’assassinat du commandant d’al Jaish al-Mahdi par les forces britanniques au mois de mai 2007 [50].

Bassora au centre des grandes tensions géopolitiques internes irakiennes en 2008

Les offensives menées par les Britanniques, en collaboration avec des troupes militaires irakiennes, pendant l’automne et l’hiver de 2006-2007, faisant partie du plan national anti-insurrection élaboré par le général Petraeus dans le but de sécuriser le milieu urbain de Bassora et de limiter les actions menées par les milices chiites, premièrement celles menées par l’Armée du Mahdi, ont eu un succès limité sur le terrain, malgré les ambitions affichées au niveau du discours officiel. Finalement, suite à une campagne politique ardue qui laissait entendre que la présence des troupes britanniques à Bassora était plutôt une partie du problème qu’une solution à celui-ci, en septembre 2007 elles quittèrent les bases militaires situées dans la ville pour s’installer exclusivement dans la zone aéroportuaire. Les leaders sadristes interprétèrent le départ britannique comme une conséquence de la pression qu’ils avaient exercée et, en fait, il n’a fait que permettre d’accroître encore plus la domination sur le terrain des fiefs propres à chaque camp, et en conséquence une augmentation des violences interchiites.

Enfin, la récente opération militaire menée par les troupes irakiennes contre les milices sadristes de Bassora au mois de mars 2008 fait partie d’un scénario complexe et qui ne manque pas d’ambiguïtés. En effet, les principaux acteurs de la scène irakienne convergent dans leur opposition à l’influence prise par le mouvement sadriste au niveau national et surtout dans la région du sud de l’Irak, là où le facteur pétrole joue un rôle décisif [51]. Dès le début 2007, moment où le général Petraeus a commencé la mise en place de son plan pour sécuriser le territoire irakien et éliminer les mouvements de résistance contre le gouvernement et les forces alliées, l’offensive militaire a été menée à la fois contre les insurgés sunnites et les milices sadristes. Effectivement, sur fond d’une escalade des violences intersectaires, des membres de Jaish al-Mahdi ou de différents groupements armés se revendiquant comme faisant partie du mouvement sadriste ont réussi à s’emparer d’une bonne partie des quartiers de la capitale irakienne, y compris les quartiers mixtes sunnites-chiites (voir les cartes de Bagdad, p. 108 et 109) où ils ont contraint la population sunnite de quitter les lieux [52]. Les États-Unis continuaient à voir dans le mouvement sadriste un acteur indésirable, dans la mesure où ce dernier est foncièrement opposé à toute solution américaine concernant l’Irak et aussi à la présence des troupes étrangères dans le pays. Cependant, en août 2007, Muqtada annonce de façon inattendue le gel de toute action militaire sadriste et ceci suite à un boycott politique à l’adresse du gouvernement Al-Maliki par les parlementaires et les ministres sadristes, protestant contre ce qu’ils considèrent être une trop importante dépendance du pouvoir central à l’égard des décisions américaines. Or, à partir de mars 2007, Muqtada a commencé à s’effacer peu à peu de la scène publique et ce n’est que quelques mois plus tard que l’on signale sa présence en Iran, où il rend publique son intégration dans la Hawza de Qom, afin d’obtenir les qualifications nécessaires pour assumer la fonction de mujtahid.

L’arrêt des opérations militaires sadristes a surpris les adeptes. En fait, la décision a été motivée par plusieurs facteurs stratégiques. Vers la mi-2007 apparaissent les premiers signes positifs visibles du plan Petraeus pour limiter la violence sunnite, en partie par la mobilisation des tribus sunnites contre les éléments d’al-Qaida établis dans les zones limitrophes de Bagdad. La diminution du nombre des actions violentes antichiites a conduit, consécutivement, à rendre moins légitime la mobilisation sadriste antisunnite au nom de la défense de la communauté chiite. Au cours des mois précédents, l’extension de l’influence des milices sadristes à Bagdad avait mené à un élargissement de leur territoire traditionnel, qui s’est traduit par une aggravation de la violence envers les habitants sunnites avec occupation de leur maison et accaparement de leurs biens, et une insécurité publique à cause de la rivalité entre les nombreuses bandes récemment apparues, dont la filiation avec Jaish al-Mahdi n’est que purement formelle. C’est la raison pour laquelle, une fois l’insurrection sunnite contenue, les forces alliées, en collaboration avec les troupes gouvernementales, accrurent la pression sur les milices sadristes ; d’ailleurs, après la décision de geler les opérations armées, le mouvement sadriste est obligé de renoncer à une partie de ses conquêtes récentes dans la capitale et de se retirer vers ses bastions (Sadr-City, Shu’la, Washshash) [53]. D’autre part, l’arrêt des actions sadristes a offert aux leaders du mouvement un délai pour reprendre le contrôle des groupes armés, dont quelques-uns s’étaient laissé entraîner à des dérives violentes pour des enjeux locaux sans lien avec les stratégies du mouvement central et d’autres étaient entrés dans une logique d’action propre engageant même des conflits avec les membres de Jaish alMahdi, pour prendre le contrôle d’un quartier ou pour différents enjeux économiques. L’anarchie croissante à l’intérieur du mouvement sadriste dans la capitale, avec des conséquences néfastes jusque sur leur base populaire exaspérée par les excès commis par les membres des milices sur la population chiite ellemême, a été un facteur décisif qui a motivé le regroupement dicté par Muqtada. Une partie des leaders militaires, pour échapper aux actions alliées menées contre eux, préférèrent se retirer vers les villes du Sud, comme Nasiriya, Bassora, Kut, Amara, moins exposées à l’influence des troupes américaines. Bassora, du fait du retrait annoncé des forces britanniques, devient alors un espace privilégié du repli des vétérans sadristes qui ont quitté Bagdad à la fin de l’année 2007.

CARTES - LA MODIFICATION DE LA CARTE CONFESSIONNELLE DE BAGDAD À LA SUITE DES VIOLENCES SECTAIRES

Cette rivalité entre les forces alliées et le mouvement sadriste est doublée de celle entre CSII (ex-ASRII) et sadristes, chacun se disputant l’hégémonie du champ politique, symbolique et territorial du chiisme irakien. À Bagdad, où l’offensive sadriste s’est accompagnée d’un combat très dur avec les troupes CSII pour le contrôle de quelques quartiers chiites, des membres des brigades Badr, intégrés dans les services de sécurité, se sont avérés être les plus actifs collaborateurs des forces américaines dans les opérations de chasse aux milices sadristes des quartiers de la capitale. Les villes saintes de Nadjaf et Karbala se trouvent désormais sous contrôle politique de CSII et pour la sécurité sous contrôle des brigades Badr, avec la bénédiction d’Al-Sistani et des autres marja’, où, après 2005, l’influence sadriste est de plus en plus limitée. En réplique à son exclusion, la propagande sadriste, en spéculant sur les sentiments nationalistes, accuse constamment les autorités cléricales et administratives des centres saints de privilégier les intérêts de Téhéran et d’accorder un traitement préférentiel aux pèlerins iraniens au détriment des pèlerins irakiens. Les affrontements violents entre les deux milices sont quotidiens - tout comme les assassinats des leaders politiques ou militaires. Malgré quelques déclarations publiques de conciliation entre les leaders des deux groupements, culminant avec l’accord entre Muqtada et Abdel Aziz al-Hakim le 6 octobre 2007, les rapports restent fondamentalement tendus. De façon paradoxale, CSII devient pour Washington un allié, bien que ce parti soit d’évidence le promoteur reconnu d’une vision politique irakienne où les intérêts de l’Iran sont bien présents. Les sadristes accusent les États-Unis de se servir des conflits interchiites pour dominer plus efficacement le champ politique et sécuritaire irakien et surtout d’utiliser CSII dans leur offensive antisadriste.

Au début de 2008, il devient de plus en plus clair que la division de la coalition chiite initiale, l’Alliance irakienne unifiée, est une réalité. Ainsi, malgré leurs différends idéologiques et leurs diverses rivalités sur le territoire, il existe désormais une alliance politique entre les sadristes, Fadhila, les partis sunnites et le bloc séculariste qui sont liés entre eux par leur opposition aux choix politiques d’Al-Maliki et à l’influence accrue de CSII. D’ailleurs, c’est cette coalition informelle qui a fait pression sur le gouvernement Al-Maliki pour fixer la date des élections provinciales au mois d’octobre 2008, date qui mécontente surtout les autorités américaines. En inaugurant l’offensive militaire de Bassora, en mars 2008, le leader irakien, Al-Maliki semble avoir cédé aux insistances de Washington et de CSII, qui espéraient, au vu des apparentes options défensives déclarées de Muqtada au début 2008, contribuer à limiter l’influence de celui-ci et de al-Fadhila dans la principale région pétrolière du pays. Se trouvant apparemment dans un relatif concubinage politique, Al-Maliki et Al-Hakim (CSII) n’en sont pas moins opposés sur quelques points fondamentaux de l’agenda irakien, comme le fédéralisme, les limites du pouvoir central et l’influence exercée par Téhéran sur l’Irak [54]. Il est certain que, à Bassora, la vaste opération militaire qui a mobilisé plus de 30 000 soldats et policiers irakiens, a visé seulement Jaish al-Mahdi (à part l’arrestation du leader de Thar Allah) bien qu’au niveau officiel son but fût d’éliminer toutes les milices de la ville et d’imposer un contrôle de sécurité accru par les autorités de l’État. Après plusieurs jours de confrontations violentes, un cessez-lefeu est signé en Iran avec Muqtada al-Sadr, qui demande à ses milices de se retirer de la rue [55]. Néanmoins, comme cette opération a montré la capacité militaire des milices sadristes à résister à une vaste offensive, les effets concrets en ont été assez peu visibles sur le changement des rapports des forces au plan local, même si les actions du Jaish al-Mahdi de Bassora ont été moins nombreuses dans les semaines suivantes. En fait, l’un des enjeux de l’offensive étant d’affaiblir l’influence sadriste au niveau local et national en attendant les élections provinciales d’octobre 2008, ce sont les résultats de celles-ci qui donneront une représentation réaliste du poids de chaque force politique chiite.

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[2http://www.alternet.org/story/17339/ Willian Jelani Cobb, « The Hidden Black Iraq », AlterNet, 14décembre 2003.

[3Pendant le XVIIesiècle, deux grandes écoles théologiques chiites duodécimaines se sont querellées sur les limites de l’action sociale et politique des mollahs. Pour l’école akhbarie l’accent doit être mis par excellence sur la diffusion et l’application des « grands enseignements » des douze Imams. Elle rejette la validité théologique tant de l’idjtihad (la capacité d’interprétation personnelle des données théologiques conformément aux principes de la raison et en fonction de réalités contemporaines) que du idjma(le consensus de la communauté) et accepte uniquement la fidélité religieuse et juridique au Coran et à la Sunna (la tradition du Prophète et des Imams). Ainsi, il n’y a pas une hiérarchie des fidèles, par rapport à leur qualité d’être ou de ne pas être uléma, mais ils ont tous le même statut, celui de muqallid, à savoir d’imitateurs des enseignements et du comportement des Imams. Cette école domine, dans le XVIIe siècle, les centres théologiques de l’Irak (Nadjaf, Karbala), mais elle a joui d’une influence importante parmi les mollahs iraniens surtout pendant la période entre les séfévides et les qajars, lorsque le clergé a été éloigné du pouvoir. Mais, selon les théologiens osulites qui accordent une grande importance à l’idjtihad, les ulémas, représentants légitimes de l’élite de la communauté chiite, peuvent prendre des décisions théologiques et sociales selon leur propre raisonnement. Au début du XIXesiècle, l’école osulie dominait à peu près tout le monde chiite, à l’exception de la région marécageuse de Chatt al-Arab et de la ville de Bassora, qui continuèrent encore à respecter l’orthodoxie akhbarite jusqu’à la fin duXIXe siècle. L’une des principales conséquences de la suprématie osulite, depuis le XVIIIesiècle, est l’institutionnalisation d’une hiérarchie cléricale, en fonction du degré d’éminence théologique et centrée sur les académies théologiques (Hawza)des villes saintes (Nadjaf, Karbala, Hilla, Qom, Machhad). La principale autorité religieuse dans le chiisme duodécimain devient la marja’iya, c’est-à-dire le corpus des clercs avec les plus grandes qualifications théologiques. L’émergencede cette institution est basée essentiellement sur le principe selon lequel, en l’absence de l’Imam caché, la communauté doit suivre les enseignements et les directives des clercs les plus instruits : ceux-ci recevront le titre de marja’-e taqlid(« modèle à imiter »).

[4Pour une présentation détaillée du milieu urbain de Bassora dans cette période, et des rapports avec l’élite locale et les Britanniques dans la région, cf. Reidar Visser, Britain in Basra : Past Experiences and Current Challenges, 11juillet 2006, http://www.historiae.org/ cosmopolitanism.asp.

[5Maria Tomchick, « Sheiks and Swindlers », Znet, 22 avril 2003.

[6Robyn Dixon, « A Dust-Up in Basra’s Leadership Vacuum », Los Angeles Times, 18avril 2003.

[7Eric Schmitt, « After the War : South », The New York Times, 19juillet 2003.

[8« Shiite Politics in Iraq : The Role of the Supreme Council », Middle East Report, n° 70, 15novembre 2007.

[9International Crisis Group, « Iraq’s Shiites Under Occupation », Middle East Briefing, 9septembre 2003, p. 12.

[10« Iraqi Governing Council President Killed in Baghdad », Radio Free Europe Reports, 21mai 2004.

[11International Crisis Group, Where is Iraq Headind ? Lessons from Basra, p. 15.

[12Michael Ware, « Inside Iran’s Secret War for Iraq », Time, 15 août 2005.

[13Edward Wong, « Shiite Morality Is Taking Hold in Iraq Oil Port », The New York Times, 7juillet 2005.

[14Paul Salopek, « In Basra, threats stalk elections », Chicago Tribune, 4décembre 2005.

[15Louise Roug, « Islamic Law Controls the Streets of Basra », Los Angeles Times, 27juin 2005 ; Edward Wong, « Basra : Killings of Vendors in Iraqi City Drive Alcohol Sales Off Streets », The New York Times, 19février 2004.

[16Rhiannon Edward, « Top Shiite aide calls for a holy war on British soldiers », Scotsman, 8mai 2004.

[17Voir son site internet, http://www.yaqoobi.com/.

[18Nir Rosen, In the Belly of the Green Bird, p. 26.

[19Babak Rahimi, « The Militia Politics of Basra », Terrorism Monitor, vol. 5, issue 13, juillet 2007, p. 1.

[20Kathleen Ridolfo, « Iraq : Radical Cleric Challenges Shi’ite Establishment », Radio Free Europe, 24 août 2006.

[21Cité in Reidar Visser, « The Sadrists of Basra and the Far South of Iraq », Norwegian Institute of International Affairs Paper, mai 2008, p. 11.

[22Reidar Visser, Ashura in Iraq : Enter Mahdism ? 29 janvier 2007, http://www.historiae. org/mahdism.asp.

[23Voir la conférence d’Ali Allawi, Millenarianism, Mahdism and Terrorism : The Case of Iraq, Jamestown Foundation, Washington DC, 9 octobre 2007, http://link11.streamhoster.com/?u=jamestown&p=%2FEvent-9Oct07-Stream. wmv&odaid=5085.

[24Reidar Visser, A Disunited Iraqi Alliance Triumphs in the South, 22 décembre 2005, http://historiae.org/555.asp.

[25Sabrina Tavernise, Qais Mizher, « Oil, Politics and Bloodshed Corrupt an Iraqi City », The New York Times, 13 juin 2006.

[26Jonathan Finer, « An End to the Soft Sell by the British in Basra », Washington Post, 26 février 2006.

[27« Shi’ite threat to Basra oil exports », The Peninsula, 27 mai 2006.

[28Cf. la présentation analytique des violences de Bassora entre janvier-août 2006, in United Nations High Commissioner for Refugees, Basrah Governorate Assessment Report, p. 8-13.

[29Sudarsan Raghavan, « Rival Shiites Militias Clash in Southern Iraq », Washington Post, 17 août, 2006.

[30IRIN Middle East, « Iraq : Basra officials warn of rising sectarian violence », 26 mai 2006, http://www.irinnews.org/report.aspx ?reportid=26902.

[31Cité in International Crisis Group, Where is Iraq Headind ? Lessons from Basra, p. 13.

[32KPMG, Report of Factual Findings in Connection with the Oil Proceeds Receipts Account For the Period from 29 June 2004 to 31 December 2004, Bahrein, 6 avril 2005, http://www.iamb.info/auditrep/r123104d.pdf.

[33« Smuggling Thrives in Basra », Iraqi Crisis Report, n° 232, 7 septembre 2007.

[34Yaseen al-Rubai’i, « Corruption Draining Oil Industry », Iraqi Crisis Report, n° 121, 19 avril 2005.

[35International Crisis Group, Where is Iraq Headind ? Lessons from Basra, p. 12.

[36Reidar Visser, Basra, the Failed Gulf State : Separatism and Nationalism in Southern Iraq, Lit Verlag, 2006.

[37Reidar Visser, The Iraq Study Group : Regionalisation Not Balkanisation, 6 décembre 2006, http://historiae.org/ISG.asp.

[38Leslie H. Gelb, « The Three-State Solution », The New York Times, 25 novembre 2003.

[39Saifur Rahman, « Federal Iraq to have 18 states, says Governing Council member », Gulf News, 24 février 2004.

[40Transitional Administrative Law, 7/8 mars 2004, Commentary and analysis by Nathan J. Brown, http://www.geocities.com/nathanbrown1/interimiraqiconstitution.html.

[41Reidar Visser, « Basra, the Reluctant Seat of Shiastan », Middle East Report, n° 242, été 2007.

[42Reidar Visser, Federalism from Below in Iraq : Some Historical and Comparative Reflections, 25 novembre 2006, http://historiae.org/Federalism-from-Below.asp.

[43Reidar Visser, « Shi‘i Perspectives on a Federal Iraq », in Daniel Heradstveit, Helge Hveem (dir.), Oil in the Gulf : Obstacles to Democracy and Development, Ashgate Publishing, 2004, p. 146-147.

[44Reidar Visser, Basra Crude. The Great Game of Iraq’s « Southern » Oil, The Norwegian Institute of International Affairs, 27 février 2007, p. 5, http://historiae.org/documents/oil.pdf

[45Reidar Visser, Iraq Federalism Bill Adopted Amid Protests and Joint Shiite - Sunni Boycott, 12 octobre 2006, http://historiae.org/devolution.asp

[46Reidar Visser, The Draft Law for the Formation of Regions : A Recipe for Permanent Instability in Iraq ? 27 septembre 2006, http://historiae.org/Aqalim.asp

[47Qassim Abdul-Zahra, « Iraqi parliament passes federalism bill » ; 12 octobre 2006, http://www.lawksalih.com/php/modules.php ?name=News&file=article&sid=1726.

[48Anthony Cordesman, Iraq Insurgency and the Risk of Civil War, Center for Strategic and International Studies, 24 janvier 2007, p. 100.

[49Babak Rahimi, « The Militia Politics of Basra », p. 3.

[50Sam Dagher, « Basra, After the British », Christian Science Monitor, 21 septembre 2007, http://www.alternet.org/story/63220/

[51Reidar Visser, The Enigmatic Second Battle of Basra, 26 mars 2008, http://www.historiae. org/sawlah.asp

[52International Medical Corps, Iraqis on the Move : Sectarian Displacement in Baghdad, janvier 2007.

[53International Crisis Group, Iraq’s Civil War, the Sadrists and the Surge, Crisis Group Middle East Report, n° 72, 7 février 2008.

[54Reidar Visser, Maliki, Hakim, and Iran’s Role in the Basra Fighting, 9 avril 2008, http://www.historiae.org/iran.asp

[55Qassim Abdul-Zahra, Hamid Ahmed, « Shiite cleric Sadr pulls fighters off streets », International Herald Tribune, 30 mars 2008.


L’institut Français de Géopolitique offre des formations de master intenses, exigeantes et passionnantes !

Hérodote est historiquement liée à la formation en géopolitique (master et doctorat) de l’Université Paris 8 — Vincennes - Saint-Denis, l’Institut Français de Géopolitique (IFG) où ont enseigné son fondateur Yves Lacoste, sa directrice Béatrice Giblin (également fondatrice de l’IFG), et une partie importante de l’équipe de la revue.

La première année est consacrée à la formation à et par la recherche, qui est au cœur du projet intellectuel et citoyen de l’École France de Géopolitique. Les étudiants et les étudiantes doivent écrire un mémoire de recherche d’une centaine de page appuyé sur une enquête de terrain d’un mois en autonomie. Un accompagnement fort leur est proposé pour favoriser leur réussite durant cette année si différente de leurs expériences précédentes.

En seconde année, quatre spécialisations professionnalisantes sont possibles : géopolitique locale et gouvernance territoriale, géopolitique du cyberespace, nouveaux territoires de la compétition stratégique, analyse des risques géopolitiques et environnementaux. Toutes ces spécialisations sont ouvertes à l’alternance, et la majorité des étudiants et des étudiantes a désormais un contrat d’apprentissage. Celles et ceux qui souhaitent faire une seconde année de recherche le peuvent, notamment en préparation d’un projet de doctorat.

Avec 85 places en première année, le master de l’IFG offre aussi une véritable vie collective de promo, animée notamment par une association étudiante dynamique. Les étudiantes et étudiants viennent de nombreuses formations et disciplines, notamment : géographie, d’histoire, de droit, de sociologie, de science-politique, Économie et gestion, langues (LLCE/LEA) ou de classes préparatoires.

Les candidatures en première année de master se font exclusivement via la plateforme nationale monmaster.gouv.fr du 26 février au 24 mars 2024. Toutes les informations utiles se trouvent sur le site www.geopolitique.net. En deuxième année, les candidatures doivent passer par le site de l’Université. L’IFG n’offre pas de formation au niveau licence.

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