La géographie ça sert aussi à se faire réélire

La condition sine qua non d’un « Obama 2 » était la victoire démocrate à la présidentielle de 2012. Or la réélection d’Obama n’était pas assurée : des élections de midterm catastrophiques et un électorat démocrate déçu, prêt à s’abstenir, surtout parmi les jeunes et les plus pauvres qui avaient contribué largement à la victoire de 2008 mais qui, après quatre ans, n’avaient pas vraiment vu leur situation économique et sociale s’améliorer. Aussi, l’abstention risquait d’être élevée. Et elle le fut mais, comme elle le fut dans les deux camps, chez les démocrates comme chez les républicains, ce fut un moindre mal pour le président sortant. Quant à la classe moyenne, une partie d’entre elle était gravement touchée par la crise des subprimes et se retrouvait donc appauvrie, menacée de déclassement alors qu’elle pensait accéder au rêve, qui n’est pas seulement américain, de posséder une maison, (voir l’article d’Hugo Lefebvre) ; elle aussi pouvait marquer sa déception en s’abstenant. En outre, la réélection semblait d’autant plus incertaine que le nouveau découpage électoral des circonscriptions, rendu nécessaire par les résultats du recensement de 2010, fut réalisé par des gouverneurs en majorité républicains. Or, comme chacun le sait, celui qui découpe le fait à son avantage (voir l’article d’Olivier Richomme). Heureusement, un piètre candidat républicain, Mitt Romney, désigné après de trop longues primaires, a permis à Obama de reprendre la main au cours de la campagne électorale. Mais, surtout, pour tirer le bénéfice maximum de cette opportunité, Obama a disposé d’une équipe de campagne sans doute encore plus performante que lors de sa première élection. Dans une campagne électorale dont le résultat s’annonce serré et qui se déroule dans un pays aussi vaste que les États-Unis, l’objectif prioritaire pour gagner l’élection est de déterminer où il est le plus efficace de porter les efforts de la campagne électorale pour engranger les votes décisifs. Assurément les États qui peuvent basculer dans un camp ou dans l’autre — les fameux « swing states » — ont été ciblés mais c’était déjà le cas quatre ans auparavant et les républicains y ont évidemment aussi pensé. Néanmoins, ces derniers n’ont pas su être aussi efficaces que les démocrates qui ont gagné la majorité de ces États incertains. Mais cette seule stratégie était très insuffisante pour l’emporter sur le candidat républicain. Il fallait donc faire mieux et, pour cela, cibler de façon plus précise les électeurs déçus et indécis pour les convaincre de voter une fois encore pour Obama. C’est là qu’un raisonnement géographique efficace est indispensable, surtout accompagné de la réalisation de cartes précises (voir l’article de Frédérick Douzet). Or, aux États-Unis, la multitude de statistiques à des niveaux d’analyse très fins permet de repérer les quartiers, voire les îlots, où l’électeur doit non seulement être démarché pour être incité à aller voter, mais surtout convaincu avec les bons arguments de voter pour le « bon » candidat. Inutile donc de mener campagne dans les territoires où les électeurs sont déjà convaincus de leur vote, qu’ils soient démocrates ou républicains. Mais il en reste beaucoup d’autres : ainsi dans les villes ou quartiers peuplés d’immigrés hispaniques qui se trouvent être très antirépublicains du fait des déclarations méprisantes à leur encontre faites par les militants de ce parti (voir l’article d’Émilie Bonnet) ou l’électorat féminin, plutôt jeune, ulcéré par les déclarations machistes des républicains, ou encore les chômeurs qui, s’ils n’ont rien vraiment gagné sous le premier mandat d’Obama, auraient encore plus à perdre avec un président républicain.

Cette stratégie géographique de ciblage précis des électorats s’est révélée gagnante puisque, même si le résultat de 2012 est inférieur à celui de 2008 (moins 7 millions de voix), il n’en est pas moins honorable — si l’on excepte la nette baisse de la participation, signe d’une défiance envers les politiques. Mais, on l’a dit, l’abstention a touché les deux camps car la déception de la mandature d’Obama a été compensée par le souvenir encore vif du désastre républicain des mandatures de G. W. Bush : déficit public abyssal et forte détérioration de l’image des États-Unis à peu près partout dans le monde. Dans un rapport de forces politique stable (les deux chambres du Congrès gardent les mêmes majorités opposées, démocrate au Sénat, républicaine à la Chambre des représentants) et même, dans certains États, presque égalitaire, les stratèges de la campagne électorale devaient vraiment déterminer les lieux où il était utile de faire porter l’effort. Si Obama a perdu des voix dans 2 500 comtés, les 560 où il en a gagné ont été suffisamment bien ciblés pour contribuer à assurer sa victoire.

On dit le président désormais beaucoup plus libre pour faire la politique qu’il souhaite puisque libéré de la contrainte de devoir préserver ses chances pour une réélection, la Constitution n’autorisant que deux mandats consécutifs. Néanmoins, cette condition ne suffit pas à lui permettre d’agir comme il le veut puisque, le rapport de forces étant resté le même, les républicains n’ont aucune raison de changer d’attitude et peuvent continuer à bloquer toutes les tentatives de changement politique (voir l’article de Vincent Michelot).

Aura-t-il les mains plus libres en politique étrangère ?

Du Moyen-Orient à l’Asie ?

Dans ce domaine-là non plus, le premier mandat d’Obama n’a pas répondu aux attentes qui étaient immenses. Il héritait d’une situation particulièrement difficile, résultat de la politique catastrophique de G. W. Bush. Sa volonté de redresser l’image des États-Unis dans le monde arabe (discours du Caire en juin 2008) et son offre de négociation au gouvernement iranien sur sa politique nucléaire ont été les deux caractéristiques phares du début de son premier mandat. Ni l’une ni l’autre n’ont permis d’améliorer les relations avec l’Iran ou l’image des États-Unis dans les pays arabes, même si le président américain a su intervenir pour pousser les présidents Ben Ali et Moubarak à quitter le pouvoir sans effusion de sang. Mais ces départs n’ont pas été portés à son crédit. Par contre, ces interventions pour contraindre de vieux dictateurs à quitter le pouvoir ont pu aussi inquiéter les monarques du Golfe, alliés des États-Unis — surtout la famille Saoud en Arabie saoudite –, confrontés à des mouvements d’opposition religieux (encore plus rigoristes que ceux qui soutiennent le pouvoir) ou démocratiques. Mais, si dans certains contextes les relations deviennent difficiles, voire méfiantes, entre les monarchies du Golfe et les États-Unis, la complexité de leurs relations stratégiques et économiques est telle que leur éloignement durable est peu envisageable comme le montre l’article de Jean-Loup Samaan.

Sur le plan de la maîtrise de la prolifération des armes nucléaires, le succès n’a pas non plus été patent, l’équipe d’Obama 1 n’ayant pas réussi à associer la Russie et la Chine à sa lutte contre leur prolifération (voir l’article de Guillaume de Rougé).

Mais ce que l’on retiendra surtout, c’est la remise en question de la supériorité de la puissance américaine sur les affaires militaires du monde, bien que les États-Unis restent, et de loin, l’État avec le budget militaire le plus élevé. Les échecs, ou les non-succès, des interventions américaines ont écorné sans doute définitivement l’aura de la puissance technologique de l’armée américaine : le désastre de l’intervention américaine en Irak, la situation instable de l’Afghanistan où les talibans ont repris le contrôle de plusieurs régions, et que la mort de Ben Laden, réel succès du renseignement américain, ne suffit pas à compenser.

La menace chinoise est l’autre facteur qui met en doute la réelle supériorité américaine. Cette menace a pris désormais le relais de la guerre contre le terrorisme tant dans certains milieux militaires — en particulier au sein des forces navales — que dans les médias où la Chine est souvent présentée comme le prochain adversaire du fait de son ambition, réelle ou supposée, d’être, dans un avenir plus ou moins proche, au premier rang des puissances mondiales. Pourtant, le chemin est assurément encore très long et cette menace est peut-être plus virtuelle que réelle. Toutefois, elle permet d’accréditer le besoin de conforter la flotte américaine pour que celle-ci puisse contenir les aspirations chinoises à contrôler une grande partie de l’espace maritime en Asie du Sud-Est. Rappelons que ce sont bien les Américains qui ont inventé l’image du « collier de perles » pour parler des ports et autres bases installés par la Chine dans l’océan Indien afin de s’assurer le contrôle des routes commerciales indispensables à son approvisionnement énergétique. L’image, bien choisie, a rencontré un succès international, chacun étant prêt à souscrire à la réalité de la menace chinoise à l’exception des mieux informés — pas toujours audibles dans les médias [1].

Selon Justin Vaïsse (entretien), à son arrivée au pouvoir, Obama a conscience que l’Amérique connaîtra, à plus ou moins long terme, une forme de déclin face à la montée des puissances émergentes, en particulier la Chine. Aussi souhaite-t-il centrer l’action des États-Unis sur l’Asie afin de contenir sa montée en puissance, menace jugée désormais plus grave que la situation du Moyen-Orient, signe que l’absence de solution au conflit israélo-palestinien n’est plus vue comme pouvant être la source directe d’un possible conflit majeur.

Enfin, il est désormais une autre menace — tout aussi réelle et/ou fantasmée que la précédente : la cyberguerre. Quelques cyberattaques, en particulier de grands journaux américains, ont fortement contribué à crédibiliser ce nouveau champ de guerre dans lequel les Chinois semblent être passés maîtres, c’est du moins ce que certains militaires et journalistes donnent à croire. Doit-on croire à la militarisation du cyberespace ? On peut certainement encore en douter. Il est même possible de s’interroger sur la pertinence de l’usage du terme « militarisation », car les militaires, les gouvernements comme les simples hackers utilisent les mêmes techniques, à un degré plus ou moins sophistiqué. En revanche, la question de l’escalade dans le développement des moyens (effectifs, développement d’outils offensifs et défensifs) et de la riposte (à partir de quand on riposte, avec quels moyens, cyber et non cyber) se pose sans le moindre doute.


[1Jean-Loup Samaan (2012), La Menace chinoise, Vendémiaire, Paris. Hérodote en a fait un compte rendu dans le numéro 146-147.


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