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La violence du groupe islamiste « Boko Haram [1] » basé dans l’État de Borno au nord-est du Nigeria fait tristement la une des médias, écho menaçant à la violence de Daech en Irak et en Syrie. On se souvient du retentissement médiatique inter- national de l’enlèvement, le 14 avril 2014, à Chibok de 276 lycéennes dont plus de la moitié était chrétienne.

On admet la lourde responsabilité de George W. Bush et de son équipe dans l’actuel chaos géopolitique irakien et celle de Bachar al-Assad dans celui de la Syrie, pour avoir choisi la répression armée contre les premiers manifestants récla- mant plus de liberté et de démocratie, enclenchant ainsi le terrible engrenage de la radicalisation des membres de Daech. En revanche, rien de tel au Nigeria. Aucune intervention extérieure ne vient expliquer les conditions de la radicalisation de Boko Haram, qui a provoqué des centaines de milliers de déplacés dans le pays depuis 2009.

La situation politique et économique du Nigeria n’est en rien comparable à celle de l’Irak ou de la Syrie. Sur le plan politique, la récente élection présiden- tielle de mars 2015 s’est tenue dans de bonnes conditions selon les observateurs internationaux – ce qui ne suffit pas à faire du Nigeria une démocratie exemplaire, loin de là. Toutefois, les résultats n’ont pas été contestés et n’ont pas donné lieu à des violences de la part des partisans du président sortant, Goodluck Jonathan. Le score de son vainqueur, Muhammadu Buhari, musulman originaire du Nord- Ouest et ex-général (il a dirigé le pays de façon autoritaire entre 1984 et 1985), montre que de nombreux chrétiens ont voté pour lui, ce qui infirme une lecture politique simpliste qui se limiterait au seul affrontement entre deux communautés religieuses, musulmans contre chrétiens.

Le Nigeria, comme le montrent plusieurs articles dont l’introduction de Marc- Antoine Pérouse de Montclos, qui a piloté ce numéro, est incontestablement un grand pays et sera sans doute dans quelque temps la première puissance de l’Afrique. Si sa croissance démographique perdure, il sera en 2050 le troisième État le plus peuplé du monde derrière l’Inde et la Chine ; il ne fait pas partie du groupe des BRICS, mais il est considéré par de nombreux analystes comme un des prochains pays émergents, le groupe des MINT (Mexique, Indonésie, Nigeria, Turquie) et sa classe moyenne, du fait de son nombre, représente déjà un marché important qui ne peut que se développer.
Comment expliquer, alors, que les dirigeants de cet État n’aient pas réussi (ou cherché ?) à écraser Boko Haram à ses débuts, à l’empêcher d’étendre son contrôle sur un territoire de plus en plus vaste, y compris sur les terres des États voisins, le Cameroun, le Tchad et le Niger ? De fait, le Nigeria dispose de la plus grosse armée de la région et a théoriquement la capacité d’intervenir en opération extérieure en Afrique, comme ce fut le cas au Mali en 2013 pour lutter contre la rébellion isla- miste et touarègue.
Il semblerait que ce soit la riposte des forces armées des États voisins contre les incursions de Boko Haram et l’utilisation de leurs territoires frontaliers comme base arrière qui aient donné le premier coup d’arrêt à l’extension de la secte islamiste, et aient même suscité une réaction salutaire de l’armée nigériane qui reprend l’offensive et remporte quelques victoires (reprise de la ville de Gamboru, carrefour stratégique pour la région). Il est vrai que, depuis son arrivée au pouvoir le 29 mai 2015, le président Buhari fait de la lutte contre Boko Haram sa priorité. Cependant, certains s’interrogent sur la lenteur avec laquelle est mise sur pied une force d’intervention conjointe multinationale de 8 700 hommes – à laquelle doivent participer le Nigeria, le Niger, le Tchad, le Cameroun et le Bénin, dont le déploie- ment, prévu fin juillet, n’a toujours pas eu lieu [2] – quand d’autres s’inquiètent de la non-nomination du gouvernement plus de trois mois après son élection.
Pourquoi le précédent gouvernement n’en avait-il pas fait sa priorité ? Et pour- quoi l’armée nigériane s’est-elle trouvée débordée par les rebelles ?

On peut faire l’hypothèse que la non-riposte initiale contre le mouvement armé islamiste s’explique par le fait que sa violence a été sous estimée. Il a peut-être été vu comme la poursuite des nombreux affrontements entre musulmans radicaux de cette région et chrétiens et musulmans modérés. En effet, les violences entre ces groupes musulmans radicaux et les chrétiens ont fait des dizaines de milliers de morts depuis les années 1980.

Ainsi, bien avant même la création du groupe armé Boko Haram, il existait dans cette région Nord une avant-garde fondamentaliste musulmane désireuse de relancer le djihad qui avait marqué cette région au XIXe siècle. Elle a trouvé d’ailleurs un certain soutien parmi la population, plus pauvre dans cette zone Nord que dans celle du Sud, et ayant le sentiment d’avoir été défavorisée, délaissée au profit des populations des États du Sud. Une partie des jeunes scolarisés ou diplômés souvent au chômage s’est engagée dans ce mouvement, prônant les valeurs islamiques et la charia et rejetant la démocratie et la laïcité. Les attaques contre des lieux de culte et les biens des « infidèles » (principalement chrétiens) se multiplient et la rigueur islamique imposée de force (uniformes islamiques dans certaines écoles et certains hôpitaux, interdiction de pratiques non islamistes comme la consommation d’alcool, la production de porc) entraîna l’opposition des musulmans modérés devenus à leur tour des cibles pour ces islamistes radicaux.

Mais, cette fois, le contexte géopolitique régional est différent de celui des années antérieures. La radicalisation et le nombre croissant des groupes islamistes armés au Sahel, qui profitent du chaos libyen et de nombreux trafics pour s’approvisionner en armes et financer leurs actions, mais aussi le succès présent de Daech, auquel une faction de Boko Haram a fait allégeance, accréditent aux yeux de certains le projet géopolitique de création d’un État islamique. De plus, le comportement violent de l’armée contre les membres du mouvement armé Boko Haram, mais aussi parfois contre une partie de la population, conduit celle-ci à rejeter cette force militaire et à ne pas lui apporter son soutien, quand bien même elle subit les exactions de Boko Haram.
Ajoutons enfin la méfiance envers le précédent président, Goodluck Jonathan, chrétien originaire d’un des États pétroliers du delta du Niger, accusé par les élites politiques et économiques du Nord de favoriser la population du Sud au détri- ment de celle du Nord, n’incitait pas cette dernière à soutenir le gouvernement. Certains analystes y voyaient même de la part des élites du Nord une tactique pour discréditer le président Goodluck Jonathan et aider ainsi à l’élection d’un président musulman originaire du Nord. Au vu des résultats de l’élection présidentielle, si tactique il y eut, elle fut efficace.
Pour le président Buhari, musulman du Nord, désormais à la tête du pouvoir fédéral, il n’est pas question de laisser Boko Haram poursuivre sa conquête terri- toriale des États du nord du Nigeria, le temps de Boko Haram semble désormais compté même s’il est bien difficile de mettre fin à un mouvement islamiste terroriste.

La lecture de ce numéro d’Hérodote montrera combien sont complexes les réponses qu’apportent les auteurs des différents articles à la question posée par Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans le titre de son introduction : le Nigeria : puissance émergente ou État failli ?


[1Une faction du groupe se fait désormais appeler « Province ouest-africaine de l’Organisation de l’État islamique » à la suite de son allégeance au mouvement djihadiste État islamique (EI) début 2015.

[2Jeune Afrique, 8 septembre 2015, www.jeuneafrique.com.


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